home L'élimination - vers un monde au féminin
ou
Chronique de l'avenir de l'homme
Nouvelle 26

26 pages


« Depuis la nuit des temps nous sommes nombreux à nous imaginer que le meilleur du monde se situe autre part, plus loin, et nous marchons. Nous partons, incapables de savoir que nous sommes façonnés de millénaires et agités par des substrats que nous nommons mystères, connaissances ou volonté, dieux ou démons. »



- Cette fois ci il a survécu.
L’embryon, enfermé dans son tube, a multiplié ses cellules depuis quelques jours et se développe suffisamment pour rendre possible la dernière opération de l’expérience que mène le centre de recherche nommé « Six Roses Pour les Femmes ».
- Il ne nous reste à réaliser que le plus simple : l’implantation.
- Presque de la routine maintenant.
- Le plus compliqué reste aussi à accomplir: Il nous faudra renouveler des dizaines de fois cette manipulation de gènes avant que l’on puisse passer le travail aux gens de la production.
- Et du marketing. On ne peut pas les oublier ceux là.
- Nous on s’en fout de ça.
- Nous devons surtout choisir laquelle d’entre nous portera cette future merveille.
Dans cette large salle « Emilie IV » du laboratoire, les six femmes s’apprêtent à tirer à la courte paille. La gaieté ne les quitte pas. Les sourires et les rires interrompent souvent leur préparation.
Josiane, responsable du laboratoire, va chercher une feuille qu’elle découpe en six languettes et réduit la longueur de l’une d’entre elles.
- On pourrait peut-être changer de l’ordre alphabétique habituel ?
- Ne nous embête pas avec tes détails. A toi Artémis, tire la première.
- Et ne montrez pas votre feuille avant que chacune ait fini de prendre la sienne.
Artémis s’exécute. Puis c’est au tour de Naïade, une laborantine.
- J’ai peur tellement je voudrais que ce soit moi.
Intérieurement elle murmure « Mon Dieu faites que ce soit moi ».
Les cinq autres femmes la regardent marmonner.
- Ça ne sert à rien de bredouiller tes prières. Tu sais bien qu’il n’y a pas de Dieu.
- Et bien moi j’en ai créé un, rien que pour moi et pour aujourd’hui.
- Et il est beau comme un dieu je suppose.
Un rire général éclate. Les six filles en même temps laissent aller leur joie pour cette réussite. Puis le tirage au sort reprend et lorsque toutes sont en possession d’une languette, chacune ouvre les mains. C’est Raymonde qui est choisie pour porter l’embryon.
« Il n’y a de chance que pour les garces » murmure Naïade à l’oreille de Doriane.
- Pour Raymonde un petit « hip hip hip hourra ».

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Elles vivent ensemble, dans le même appartement et les mêmes chambres depuis pas mal d’années. Deux grands appartements d’un tout petit immeuble qu’elles ont réunis en un seul. Elles ne sont pas loin du laboratoire, à la fois retirées de la ville et dissimulées de leur quartier par de nombreux arbres. Leur immeuble est aussi protégé, vers l’est, par des terrains vagues qui serviront peut-être un jour comme zone d’enfouissement des déchets et bien isolé d’un autre côté par la zone réservée aux gens du voyage. Pas très rassurant pour les habitants de leur ville mais gage de tranquillité et de solitude pour elles.
Il y a quelques années, avant d’en arriver à leur groupe opérationnel d’aujourd’hui, elles ont eu, sans concertation entre elles, une histoire presque commune. Pour Julie et Naïade c’est au lycée qu’elles fréquentent ensemble depuis la classe de sixième que tout commence. Ca démarre sur les bancs de l’école, au cours des heures de Travaux Pratiques de biologie. C’est pendant ces moments de liberté dirigée qu’elles ont eu cette idée qui leur paraissait alors comme un scénario de pure science fiction, la chimère d’un monde où ne vivraient que des femmes.
- Que des amazones ! Tu te rends compte.
- Non; pas vraiment.
- Mais si; rien que nous, que des féminines.
- Tu as peut-être raison. Ça pourrait être marrant. On ne serait qu’entre nous.
- Ça m’est venu comme ça. D’un coup en agitant le mélange. J’ai vu peu à peu les deux produits qui ne donnaient plus qu’une seule couleur. Et hop. J’ai associé cette vision avec l’idée d’un monde où il n’y aurait que des femmes. C’est pas une bonne idée ça ?
- Une vie sans les hommes, je ne sais pas si …
- Il y a déjà plein de femmes qui s’en passent.
- Je demande quand même à voir Les mains d’un homme sur mon corps c’est quelque chose. Et puis aussi leur sexe, surtout quand il se surgonfle au moment de leur éjection.
- Ejaculation. Je t’assure qu’on peut faire aussi bien qu’eux et plus longtemps.
- Tu as déjà aimé des filles ?
- Je ne sors presque jamais avec les mecs. Entre filles on est bien plus décontractées. On ose tout et on ne risque rien. Mais avec les garçons ils sont chiants, ils trouvent toujours une bonne raison de nous relancer les jours suivants et quand on est plusieurs copines ils sont vite en état d’incapacité et on doit quand même se débrouiller entre nous pour aller jusqu’au bout du plaisir.
- Expliqué comme cela je veux bien. Mais si je deviens une amazone, ce sera avec mes deux seins. J’y tiens parce qu’ils sont très beaux.
- Si tu veux puisque nous tirerons nos armes, non plus de nos carquois, mais de nos tubes à essais.
Dans ces années qui forment le début du troisième millénaire l’école apprend banalement à tous comment on découpe le code ADN de nos cellules pour l’assembler autrement ou le remplacer par celui d’autres espèces. Les revues de la presse écrite, comme celles du web, relatent régulièrement les exploits des laboratoires qui subventionnent en bonne partie les expériences faites en classe afin d’attirer la main d’œuvre qualifiée nécessaire à leurs travaux de recherches. Les secteurs de l’agriculture, de la chimie et de la pharmacie y consacrent tous des sommes d’argent en proportion de leurs bénéfices immenses espérés ou disponibles.
Quelques années plus tard, dans les salles et les amphithéâtres des facs, pendant les cours théoriques, les Travaux Dirigés et les vidéoconférences, Julie et Naïade peuvent concrétiser quelques uns de leurs rêves de jeunesse. Elles percent peu à peu les secrets techniques des manipulations et échangent enfin les premières portions de code génétique entre cellules avant de pouvoir manipuler le noyau lui-même.
-Tu y croyais toi qu’on ferait un jour tout ça.
- Bien sûr.
- Je t’écoutais, mais c’était surtout un jeu. J’ai continué dans cette voie là pour être avec toi, mais ça ne m’intéressait pas plus que ça.
- Moi je l’ai toujours voulu et je continue d’avoir cette idée en tête, un monde dirigé par des femmes, où les femelles dominent et peuvent vivre à leur manière, sans contrainte, comme ça nous chante.
- Tu as de la suite dans les idées …
- Et toi tu te dis que remplacer les hommes par des femmes ça présente bien des plaisirs nouveaux.
Pendant leurs années d’universités, les rencontres dans les défilés rose bonbon et les divers clubs destinés à regrouper les minorités sexuelles, construisirent leur groupe actuel. Des filles sympa et dynamiques qui ne s’imaginent qu’entre elles et satisfont leurs désirs physiques sans soucis de lieu, d’heure ou de partenaire ce qui provoque dans leurs appartements des scènes qu’apprécieraient sans doute très mal les regards dissimulés derrière de nombreux volets clos.
Le hasard de rencontres dans de telles manifestations, alors qu’on se connaît déjà par ailleurs, à cause du travail en laboratoire, favorisa très rapidement, entre elles, des liens tout à la fois physiques et intellectuels. Leurs préférences sexuelles les poussèrent très vite à se regrouper professionnellement pour travailler dans un même laboratoire qui est dirigé par une amie rencontrée aussi dans une de ces soirées réservées.
Leur entente et leurs relations, leur connivence et leurs jeux, leurs permirent d’obtenir sans trop de délais, les subsides nécessaires pour commencer les travaux de manipulations génétiques qui les passionnent.

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La transplantation se déroulera le lendemain soir. Quelques heures de congélation des cellules embryonnaires permettront à Raymonde d’attendre le meilleur moment possible dans son cycle physiologique.
Leurs recherches génétiques permettent déjà de déterminer plusieurs éléments de la chaîne moléculaire induisant la modification de la couleur des cheveux et l’épaisseur des lèvres. Grâce à une astuce d’Artémis lors des manipulations chez l’animal, elles ont pu obtenir que les muscles qui soutiennent les seins remplissent mieux leur rôle. Et c’est cette dernière découverte, développée avec discrétion par leur laboratoire, qui leur assure maintenant toute liberté dans leurs recherches. Elles viennent aussi de livrer les séquences génétiques qui offrent la possibilité de choisir la couleur des yeux ou tout au moins le ton de ceux-ci. C’était l’année dernière. Ce qui donne à leur laboratoire de tutelle de nouveaux gros espoirs de profits pour les milliers de naissances artificiellement assistées qu’ils pratiquent en les faisant passer pour des réimplantions traditionnelles. Encore interdites, ces manipulations de confort, pratiquées essentiellement par les personnes fortunées, se déroulent sans bruits particuliers et sans reportages de presse. Tous s’y adonnent.
Mais leur plus importante découverte, celle qui les motive toutes, tient dans leur habileté spécifique pour isoler une chaîne, une portion de code, un allèle, qui après avoir été dédoublé doit rendre possible l’expression d’une fonction de code capable de déterminer le sexe. Elles tentent ce soir la première manipulation concrète de l’expérience dont elles conservent bien sûr l’exact état d’avancement pour elles seules. L’enjeu économique s’annonce immense et elles veulent le maîtriser entre femmes. Les enquêtes d’opinion indiquent toutes que le choix possible du sexe aboutirait, dans la population, à une sur masculinisation des naissances, surtout pour la première d’entre elles. Et elles veulent un monde de femmes !
Depuis presque douze années Josiane manipule ses séquences de code génétique et les inocule à ses animaux de laboratoires. Elle a eu tout le temps de constater que l’évolution, depuis plus de quatre milliards d’années, se raconte avant tout comme une longue suite d’échecs, d’avortements et de cul de sac qui laisse passer, de temps en temps, une réussite viable, une solution qui devient alors prévisible et reproductible. Mais ce n’est plus de l’adaptation aux conditions de nourritures dont il s’agit.
Cette fois elle triomphe, à peine angoissée par les souffrances de l’attente qui la séparent encore de la première étape vers la preuve scientifique que deviendra la future naissance de cet enfant. Une fille espère t elle. Une fille aux yeux bleus selon ce qu’elle a prévu, avec des seins d’amazone; fermes et ronds.
Il ne s’agira pas d’un robot humain parce qu’elle n’apporte des changements qui ne touchent qu’au design. L’âme de sa fille, nul ne sait, personne ne comprend, aucun laboratoire ne la propose à son catalogue. Elle sait bien que l’essence de sa vie se trouve inscrite dans les codes qu’elle manipule, mais elle ne veut pas y toucher. Une femme ne s’intéresse qu’aux parfums de l’existence.

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- Avant de procéder à la transplantation j’ai quelque chose à vous dire.
- Tu es bien solennelle !
- Ce n’est pas ton habitude. Je veux dire pas autant que ça.
Le silence se fait et seuls les bruits presque imperceptibles des appareils en veille et de la climatisation percent le silence.
- Vous ne trouvez pas que les garçons sont de plus en plus gênants ? Qu’ils sont encore plus dragueurs et machos qu’avant ? Où qu’on aille ils nous matent pour voir un bout de sein ou deviner nos fesses !
Les autres filles attendent la suite.
- Vous ne pensez pas qu’on serait plus tranquilles, seulement entre filles. Nous connaissons assez de choses techniques pour nous passer de leur force physique. Nous devons prendre leur bastille. Nous le pouvons. Nous allons le faire.
Les cinq autres filles se regardent.
- Tu veux tout bouleverser parce que les mecs reluquent nos culs et nos nibars ?
- Moi je le fais exprès, ça me plait bien de sentir qu’ils tirent la langue rien qu’en voyant comment je suis foutue et…
- Et de temps en temps tu les laisses faire la visite complète.
- C’est la nature ma belle et j’aimerais bien trouver le code codant …
- Oh qu’il est gentil celui là ma poulette.
- Je disais donc le code capable de coder le désir pour qu’il devienne quotidien.
- Et ça te permettrait de les épuiser tous. Comme cela, selon ta bonne vieille théorie, adieu les guerres dans le monde.
- Ça te parait comique mais ce serait ma façon scientifique de contribuer à la paix.
- Dépêches toi parce que les rides des fesses chez les filles sont plus efficaces que n’importe quel soporifique pour un homme !
C’est Josiane qui essaie de mettre fin à cette atmosphère de cour d’école.
- Je ne veux supprimer personne, je ne veux pas de révolution guillotine, d’inquisition ou de longue marche, je veux seulement changer le cours de l’évolution, comme cela s’est produit de nombreuses fois depuis que quelque chose est apparu sur notre terre.
- Mais vivre entre femmes, n’est ce pas déjà notre cas depuis qu’on est en fac ?
- Nous pouvons nous amuser ensemble sans pour autant changer la société.
- On peut s’organiser comme on le souhaite sans que personne nous fasse de remarques …
- On n’en a rien à foutre des sourires dans notre dos.
- C’est vrai qu’on n’a pas besoin des « m’as-tu vu » pour s’envoyer en l’air et au moins, nous, on n’est pas jalouses. Mais de là à provoquer une nouvelle évolution de l’espèce…
Les rires amusés et approbateurs donnent leur réponse.
- Je vous répète ce que je voulais dire, rien que des filles sur la terre. Plus un seul homme.
Les amies se regardent entre elles.
- Mais ailleurs dans le monde il y a des filles qui aiment le sexe des hommes et qui s’amusent bien avec. J’en ai connu plein.
- Elle a raison. Je les utilise encore quand je voyage. C’est pas si mal et plus facile à trouver quand on ne reste qu’une journée au même endroit. Si j’ai arrêté en temps normal de me faire enquiller par les hommes c’est parce qu’ils ne tiennent pas assez longtemps leur érection et que je n’arrive presque jamais à me shooter jusqu’au bout.
Le silence se fait de nouveau.
- Tu ne veux quand même pas tous les tuer ?
- A toi toute seule ?
- Pour ça ne compte pas sur moi. J’ai horreur du sang depuis que je suis toute petite.
- Et moi des poisons. J’aurais trop peur de me tromper.
Elles attendent toutes ce que va leur raconter leur patronne de labo.
- Je viens de vous le dire : rien que des femmes. Mais ce n’est pas pour autant que je vous demande d’aller tuer tous les mâles qui vivent en ce moment. Nous allons seulement les éliminer peu à peu.
- Si les éliminer ce n’est pas les tuer tous …
- Et comment vas tu faire ?
- C’est un problème réel ça. Même si on commence maintenant …
- Il faudra des centaines d’années.
- Même les nazis ont échoué et pourtant ils utilisaient de gros moyens.
Josiane reprend la parole.
- Puisque vous ne trouvez pas toutes seules, je vous donne la solution : en ne les reproduisant plus, tout simplement.
Julie repense à leurs idées inventées sur les bancs du lycée et qui, tout à coup, sont largement dépassées.
- Nous allons modifier les gènes des femelles en âge de procréer afin que ne puissent plus naître que des filles.
Toutes se regardent. Elles n’ignorent pas bien sûr que cette idée ne pose pas de problèmes techniques, elles sont toutes payées pour savoir cela depuis pas mal d’années déjà.
- Je veux que partout dans le monde les hommes cessent d’asservir les femmes, de les battre, de leur interdire ceci et cela ou de les enfermer.
- C’est un programme de plusieurs siècles que tu nous donnes là.
- Nous serons mortes ou fripées quand nous verrons le début de ce monde.
- Nous avons le droit de vote, de travail, nous pouvons ne pas nous marier.
- Heureusement que tu es athée sinon ce serait plutôt les femmes qu’il faudrait éliminer si on en croit la bible et son histoire de pomme.
- Mais déjà à ce moment là c’était un mec qui posait les interdictions …
- C’est vrai ça, pourquoi interdire les pommes. C’est bien une idée d’homme …
Josiane vient de lever les bras pour demander un peu de silence et d’écoute.
- Depuis des siècles des hommes et des femmes essaient d’expliquer ou de légiférer pour obtenir l’égalité entre les sexes. Il faut bien constater que les progrès sont faibles et même nuls dans certains pays….
- Quand il n’y a pas des retours en arrière.
- Ces échecs sont dus au fait que nos gènes sont différents et que le seul moyen qu’il y ait égalité entre les sexes c’est qu’il n’y en ait qu’un. Je ne vous étonne pas en vous disant que j’ai choisi le mien.
Tout le monde se regarde.
- D’accord. Et comment obliger les filles à se faire manipuler les gènes ?
- Pourquoi ne pas changer celui des mâles ?
- Nous pourrions donner une orientation supplémentaire à nos recherches.
- Nous ne manquons pas de vecteurs capables de véhiculer un bout de génome.
- Mais de là à l’avaler comme un cachet pour mal de tête…
- Il y a quelques pas à faire que je suis prête à commencer.
Les filles se rendent compte qu’elles sont déjà entrées dans le comment faire. Elles ne se posent plus la question du pourquoi se lancer dans cette sorte de génocide.
- Nous n’enfanterons plus que des filles et nous entrerons enfin dans un monde sans violences et sans injustices.
C’est le silence qui suit cette proposition.
- Sans injustice c’est à voir. Il faudrait régler les problèmes économiques pour cela. Il y a aussi de nombreux hommes et femmes qui ont essayé et nous en sommes où nous en sommes en ce moment. C’est toujours aussi inégalitaire.
- Et pour çà il ne suffit pas de supprimer un des deux sexes vivant sur la terre.
- Sans violence si on veut. Parce que supprimer la moitié d’une espèce je ne trouve pas que ce soit une action non violente.
- Et entre filles si nous ne sommes pas portées vers la bagarre physique souvent on se fait mal autrement. C’est aussi de la violence. Je trouve même que ça vaut celle des garçons, avec moins souvent de sang je l’admets.
- Il y a eu la disparition des dinosaures et de milliers d’autres espèces. Pourquoi pas celle des mâles humains.
- Mais c’était un accident de la nature. Personne ne l’a voulu à ce moment là.
- L’irresponsabilité est aussi une violence, et c’est même la seule forme qui soit sans solution. Elle est donc nuisible. L’irresponsabilité équivaut à s’accepter comme instrument d’autre chose.
- Quant à nous, nous ne faisons qu’utiliser la nature mais nous le voulons, nous ne restons pas dans une vague irresponsabilité générale.
- La partie mâle de la reproduction est un détour totalement hasardeux qui n’est ni unique ni indispensable dans l’évolution pour arriver au résultat de la continuité de l’espèce. Nous pouvons avec nos méthodes cliniques supprimer ce zig zag superflu sans atteinte à la perpétuité de l’espèce.
- C’est bien la preuve qu’il n’existe pas de dieux. Aucun n’aurait été aussi compliqué que l’est la nature…
- Et s’ils avaient été vraiment intelligents ils n’auraient jamais créé d’humanité et encore moins de femmes vu ce qu’on prépare aujourd’hui et les ennuis qu’elles leurs ont fait depuis toujours.
Les six filles qui se regardent toutes en s’interrogeant du regard donnent déjà leur accord. Secrètement le fait d’enfanter les attire, même si elles n’osent pas formuler ce besoin et toutes s’estiment déjà prêtes à porter en elles l’expérience d’un autre monde.
Comme toutes les femmes, elles verront bien après pour trouver des explications à leurs actions. Tout comme font les hommes qu’elles vont éliminer. Les justifications sont toujours postérieures aux actes.

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C’est une fille qui vient de naître. Les cinq chercheuses et mères s’agglutinent autour du lit et du berceau. Toutes trouvent beau ce bébé qu’elles ont conçu peu à peu. Julie et Artémis ont apporté un cadeau à Raymonde.
- Merci à toutes les deux.
- Il ne manque plus que des fleurs…
- Mais personne n‘y a pensé !
- A qui ressemble t-elle ?
- A son père.
Et toutes en chœur de dire « Elle est bien bonne celle-là »
La réunion de famille se prolonge dans la salle de la maternité jusqu’à ce que Julie prenne la parole.
- Notre belle et toute nouvelle Eve ne prouve pas encore notre réussite scientifique. Après tout les statistiques nous donnaient une chance sur deux.
Mais personne n’écoute vraiment ce que raconte leur compagne. Les cinq amies envient Raymonde et toutes veulent tenir leur fille quelques instants dans leurs bras et la bercer un peu pour en obtenir le premier sourire. Eve mélange et retient inconsciemment toutes les odeurs qui l’entourent, incapable plus tard de se repérer. Toutes seront sa mère.
- Dans les quelques jours qui viennent, il nous faudra faire un prélèvement et vérifier que les codons implémentés sont bien inscrits sur la spirale.
- Pas question de toucher à ma fille.
- A la mienne non plus.
- Ma fille ne sera jamais un matériel de laboratoire.
La fête qui s’en suit garde des dimensions bien modestes. Mais toutes se sentent heureuses. Une espèce de revanche sur quelque chose qu’elles ne parviennent pas à exprimer. Une sorte d’injustice qu’elles commencent à réparer. Une forme de triomphe envers un adversaire inexprimable mais toujours perçu comme omniprésent, une victoire contre un ennemi dont elles devinent cependant l’impérieuse nécessité pour qu’elles puissent exister avec autant de plénitude. Elles respirent le besoin de cette compétition, mais n’en savent pas formuler le pourquoi, ni les puissantes raisons qui les entraînent à se lancer dans cette entreprise. Elles les devinent et les négligent probablement de temps à autre.
Peut-être la longue et profonde continuité connue de notre univers qui construit et détruit, répète et innove, explose et concentre, se décline dans l’infiniment grand et se résume dans l’immensément minuscule. Adam et Eve, à la fois découvreurs et simples chaînons, ne représentent sans doute que les résultats de réactions chimiques commencées, enchaînées, déréglées et assemblées longtemps avant eux. Une pensée lentement formulée qui résulte peut-être de banales conséquences de quelques règles chimiques parmi toutes les réactions possibles, sans aucune autre logique que celle là.

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- Tout ce que nous avons manipulé a été transmis. Les analyses ne notent aucune perte et aucun déplacement.
Doriane vient de sortir de la petite pièce où aboutissent toutes les informations connues du laboratoire. Là où se pilotent les impressions de documents et les résultats d’expériences.
- Notre fille porte en chacune de ses cellules la marque de fabrique de la volonté de toutes ses mères c'est-à-dire de nous toutes.
Les filles réunies applaudissent comme au spectacle. Le premier pas vers quelque chose est franchi, elles disposent d’un procédé pour transformer le monde, pour le métamorphoser dans sa mécanique profonde. Il ne reste plus qu’à lancer la routine en quelque sorte : le modifier tous les jours.
- J’ai retrouvé le double allèle qui induit le choix du sexe de l’embryon. Il s’est donc bien inséré là où nous le voulions. Nous pouvons peupler le monde à notre image.
- Un monde nouveau mais à l’image de la femme cette fois-ci.
- Dommage qu’on ne puisse pas lier le plaisir et l’insémination.
- J’en connais beaucoup pour qui l’amour n’a ressemblé qu’à de l’insémination artificielle...
- Julie a raison, il faudra qu’on trouve un moyen de jouir au moment de l’implantation.
- Ça nous donnera du cœur à l’ouvrage.
- Et puis quel argument pour le choix maternel !
- Il faut donc qu’on réinvente pour ce moment là, ce qui fait que les filles depuis toujours, se laissent inséminer par les hommes.
- Il ne faut pas chercher. C’est le plaisir physique sous toutes ses formes, la jouissance physique du sexe qui peut annihiler la conscience …
- Et si c’était le besoin de perdre conscience, de n’être que dans le présent, de n’être que matière, qui nous poussait vers les plaisirs physiques …
- Une expression toujours présente des séquences codantes de nos ancêtres animaux ?
- Matière, vous n’êtes que matière et vous redeviendrez poussière.
- A ce propos si on passait l’aspirateur …
Et toutes en chœur de dire « Elle est bien bonne celle-là »

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Les cinq autres amies furent elles aussi inséminées et toutes ont donné naissance à des filles : Aurore, Clémence, Adonise, Cléopâtre et Marianne. Ce fut, comme pour leur aînée, le tirage au sort qui désigna l’ordre des porteuses mères. Elles donnèrent toutes leur accord pour espacer les naissances de sept mois afin de n’avoir aucun signe zodiacal identique. Ce rythme des accouchements ne perturberait pas les recherches du labo et faciliterait l’enchaînement des contraintes d’éducation. A elles toutes, elles ne se tracassaient pas pour les problèmes matériels du quotidien.
La vie s’organise du mieux possible, toutes habituées depuis longtemps au rationnel, à la réflexion et à la prévision de leurs travaux scientifiques. Après quelques longs mois de tractations, elles possèdent maintenant tout le petit immeuble qu’elles occupaient le jour de la création du labo. Depuis le début de leur aventure commune, sans même se le dire expressément, elles ressentaient le désir profond d’élever ensemble leurs six filles dans une grande famille, semblable à une ancienne tribu préhistorique, sans hiérarchie véritablement établie ou héritée.
La restructuration de tout le premier étage aboutit à ce que chacune des enfants dispose de sa propre chambre tandis que la totalité du second étage accueille les quatre grandes chambres où les mères peuvent continuer de se retrouver pour dormir ou satisfaire leurs besoins d’ébats physiques sans perturber le sommeil, les jeux ou les devoirs des enfants.
Elles s‘arrangent pour qu’à tour de rôle, mais le plus souvent de façon impromptue, s’effectuent sans heurts, les heures de recherches, les courses, les soins aux enfants et toutes les démarches qu’une telle communauté impose. Un mélange efficace et plutôt non structuré d’envies, d’obligations, de fantaisies et de rejets qui fonctionne assez bien.
Demain pour la première fois l’une d’entre elles conduira Eve à l’école. Probablement Raymonde puisque l’état civil la reconnaît comme mère officielle.

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Pendant toutes les années où chacune d’entre elle devient mère, les filles organisent ce qu’elles nomment leurs séances d’éducation prénatale.
- Je suis certaine que j’entendais et que je ressentais ce qui se passait autour de mes parents.
- Quand ? Tu les espionnais ? Tu les écoutais derrière les portes ? Tu regardais par le trou de la serrure ?
- Mais non. Je parle du temps de mon séjour au fond du ventre de ma mère.
- Tu te souviens vraiment ou tu voudrais t’en souvenir ?
- Je crois réellement que je m’en souviens. Pas comme un vrai souvenir bien sûr, mais comme une sorte de main invisible, une espèce de mémoire translucide et un peu floue.
Pendant ces séances d’éducation pré natale, elles parlent à leurs futurs bambins pour qu’ils s’habituent à leurs voix et qu’ils puissent les reconnaître une fois à l’air libre.
- Après sa naissance, en réentendant les bruits et les agitations qu’il a perçus in utero, il continuera de se représenter le calme, l’ambiance et la sécurité du liquide amniotique.
- Tu crois.
- Je te dis que je m’en souviens. C’était bien, tu ne peux pas savoir …
Elles parlent, dansent délicatement, se déplacent, écoutent de la musique. Leurs enfants doivent déjà, à travers elles, vivre un peu de la vie terrestre qui deviendra la leur.
- Au fond les enfants refont toutes les étapes du trajet que notre espèce jalonne depuis des centaines de milliers d’années.
- Leur développement les entraîne du milieu aquatique de notre ventre au monde terrestre de nos bras en à peine quelques mois.
- Ça gagne du temps ! Un sacré raccourci !
- Ils passent de la branchie au poumon et des nageoires aux petites papattes.
- Nous devons les aider à profiter de tout ce que nous avons appris de cette filière pour qu’ils s’accomplissent complètement.
Elles préparent des plats très divers pour que tous les goûts s’inscrivent dans les sensations de leurs enfants quand ils avalent un peu du liquide dans lequel ils baignent.
- Plus tard ce programme là devra faire partie des protocoles d’informations que tous les centres de notre groupe proposeront en accompagnement de la grossesse des femmes partout dans le monde.

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La création et la déclaration de leur première association - fondation date de presque une année.
- J’ai eu confirmation par une des secrétaires de la préfecture que nous pouvons demander toutes les autorisations et subventions nécessaires à la réalisation de notre démarche.
Elles savent que pour multiplier les inséminations artificielles ne donnant que des filles il leur faut mettre en place une organisation solide, dans des institutions qui dureront bien au-delà de leur propre existence, et qui puissent s’étendre dans tous les pays du monde.
- J’ai aussi demandé les démarches que nous devions entreprendre afin de postuler à la reconnaissance d’utilité publique. Les conditions légales ne peuvent être reçues avant notre cinquième année d’existence.
- Nous avons encore du temps pour organiser les appels aux dons, donations, quêtes et déductions fiscales de tous genres.
Le but officiel de l’association 2A.C.M, « Aide Au Choix Maternel », se résume dans la volonté de vulgarisation de tous les moyens modernes de conception natale et dans la mise à disposition de toutes les aides possibles à destination de toutes les futures mères qui se préparent à la naissance d’un enfant choisi.
- Ça ne te fait pas quelque chose d’être une garantie de sérieux ?
- A moi non, mais je comprend que pour toi ce soit un choc.
- Plaisante si tu veux mais je n’imaginais pas, quand je bachotais au lycée, que des femmes de partout me feraient confiance pour quelque chose d’aussi important qu’une naissance.
- Nous sommes devenues des chercheuses scientifiques, aussi incroyable que cela te paraisse.
Elles apportent la garantie de sérieux dans les entretiens et les propositions d’examens médicaux nécessaires pour la santé des patientes et de l’enfant à naître. Toute une panoplie de soins, de conseils, de prévention et de suivi qui attire une clientèle nouvelle.
- Tu t’es bien débrouillée du côté des médecins.
- C’est vrai. L’ensemble du système de soins qui quadrille le territoire accepte de prendre en charge cette nouvelle ligne de préventions.
- Et pour la caisse maladie ?
- Je crois que ce sera effectif pour le 15 mars de l’an prochain.
Et toutes les deux de dire en cœur : « Le temps que les fonctionnaires fonctionnent ».
En apportant à toutes les femmes des activités médicalisées supplémentaires elles s’assurent discrètement l’appui silencieux du secteur de la santé publique et de ses relais médiatiques et administratifs. La préparation par leur laboratoire, et souvent même l’implantation de l’ovule modifié par leurs soins, qui représente l’innovation principale, quoique inavouée, ne leur est pas disputée par les collègues médicaux. Le partage des retombées financières de la technicité apportée, se fait tout à fait normalement entre tous les intervenants du parcours médical qui jalonne officiellement une naissance. Naturellement les généralistes orientent leurs patientes vers l’une d’elles.
- C’est un docteur sérieux, qui a de l’expérience et qui a elle-même donné naissance à une magnifique petite fille grâce à ce type d’aide à la maternité. Vous pouvez avoir confiance en elle. Elle sait ce que c’est qu’être mère.
- Je vous remercie docteur.
- Voulez vous qu’on fixe tout de suite le rendez-vous ?
- Si vous voulez.
- J’appelle leur cabinet. Il y en a pour une minute.

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Depuis maintenant quelques années, dans d’autres villes en Europe, d’autres associations, qui portent toutes le même nom générique, permettent à de nombreuses femmes de devenir mères.
- Est-il encore utile de ne pas signaler que l’enfant sera automatiquement une fille ?
- Bien sur. Nous n’en sommes encore qu’à la phase de développement de notre utopie féminine.
- Je suis persuadée que cela ne changerait rien. Ce qui compte c’est l’aspect physique de l’enfant.
- Plus tard nous pourrons tout dire, quand nous serons les plus nombreuses. Quand l’expérience de plusieurs générations validera nos idées.
Riches et pauvres sont accueillies partout, une règle non écrite, mais impérative. Le laboratoire des « Six Roses Pour les Femmes » fournit la plupart des ovules fécondés qui servent aux implantations proposées. Les six fondatrices restent toujours les médecins référents essentiels, notamment pour les entretiens, même si elles ne se déplacent plus très souvent.
- Le laboratoire « Pechermel », près d’akassa vient de fournir pour la première fois une partie importante des ovules nécessaires pour le continent africain.
- Nous assurons enfin la multiplicité en nombre mais aussi la diversité en couleurs de peau.
- Au moins nous ne resterons pas toutes blanches de blanches.
- Je craignais de faire involontairement plaisir aux couillons qui saluent en levant le bras à l’horizontale.
L’achat à des personnes vivantes et le prélèvement sur des défuntes suffit aux quelques centaines de milliers d’implantations réalisées chaque année. Les laboratoires avec le travail en continue assurent la maturation des ovules récoltés dans le monde après la manipulation génétique standard et demandée.
- Vous pouvez choisir, sans avoir à le révéler, les différentes variations anatomiques que notre laboratoire a mises au point.
- Comment pouvez vous dire cela ?
- Parce que votre choix sera codé aléatoirement avant de partir vers l’unité de préparation des ovules. Et lorsque vous viendrez pour recevoir cet ovule plus personne ne pourra savoir l’état de votre demande.
- Je ne serais plus qu’un numéro.
- On peut dire la chose comme cela. Mais ce n’est vrai que pour la partie technique, pas pour vous-même.
Mais aucune ne sait qu’elle enfantera systématiquement une fille : c’est là le critère d’affiliation au réseau des Six Roses. Un gage non écrit qui permettra un retrait immédiat du réseau en cas de dérapage.

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- Dans de nombreux pays, le programme d’insémination prévoie que les femmes retournent, dès le jour même, auprès de leurs maris …
- Tu as l’air de trouver cette manière de faire tout à fait normale. Moi cela me hérisse le poil.
- Là bas nous ne sommes pas en France. Ils ont leurs coutumes.
- Justement, c’est l’occasion de les faire changer.
- Plus tard leurs coutumes changeront. Que les femmes viennent dans nos laboratoires c’est déjà une victoire.
- Pourquoi pas dire une révolution pendant que tu y es ?
- Presque. Il faut donc qu’elles retournent vers leur mari …
- Leurs maîtres tu veux dire …
- Pour provoquer aussi tôt que possible un acte de copulation qui rendra « naturelle » la naissance future.
Les docteurs de nombreux pays où les femmes sont en dépendance sociale vis-à-vis des hommes, demandent aux patientes d’organiser un événement un peu particulier afin que le mari puisse se souvenir neuf mois plus tard de la date de la conception probable.
- Certains pays sont tellement durs pour les femmes qu’il arrive que celles-ci accueillent les grossesses comme des moments de tranquillité dans leur vie de soumission.
- Dans nos pays aussi cela n’est pas rare.
- Cette mise en scène proposée leur donne sans doute un sentiment de liberté et de revanche.
- Elles auront symboliquement l’impression de tromper leurs maris.
Les statistiques, déjà abondantes, renforcent le phénomène de diffusion des savoirs faire apportés par les associations. La quasi certitude de pouvoir mener à terme la grossesse et la garantie qu’aucune naissance gémellaire n’est possible, leur permet une excellente vulgarisation.
- Les grands médias nationaux et spécialisés n’ont, étonnamment, jamais mis en avant le fait que les naissances ne soient que féminines. Ce point ne soulève jamais de question ou de remarque.
L’explication vient probablement du fait des quelques garçons qui sont nés lors d’implantations avec des ovules choisis en dehors de ceux proposés par le laboratoire des six roses. Le sexe de l’enfant, au fond, importe peu à côté du choix possible pour la couleur des yeux, des cheveux et la forme du nez. Lors de leurs contacts avec les communicants médiatiques, les six filles mettent en avant la sécurité procurée par les procédures médicales durant la grossesse et au moment de l’accouchement. Ce sont là des arguments beaucoup plus acceptables socialement que les motivations réelles retenues par les futures mères qui acceptent la méthode.
Le laboratoire « Six Roses Pour les Femmes » peut désormais distribuer les photos d’enfants magnifiques, presque standardisés, qui sourient aux côtés de leurs mères, comme exemples de la réussite médicale de l’aide qu’elles proposent pour une naissance volontaire. « Sécurité et beauté » devient un peu leur slogan. Quelques photos de bébés garçons sont glissées au milieu de toutes celles de bébés filles.
Pour récupérer une partie de leur libre arbitre, les hommes n’ont pas d’autre choix que celui de tricher.

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Dans le monde entier quelques centaines d’entreprises de biotechnologie utilisent maintenant les techniques de préparation des œufs de la fondation « Six Roses Pour les Femmes ». Presque toutes les directrices qui occupent la tête de ces laboratoires, partagent les idées des six créatrices et oeuvrent dans leur région pour réussir l’avènement d’un monde au féminin. La vie des fondatrices se déroule depuis quelques années en voyages multiples qui répondent aux invitations de scientifiques que leur démarche intéresse. Les conférences se multiplient et en même temps les stages techniques s’organisent et deviennent la référence politiquement correcte.
- Je suis crevée ce soir. Je me demande parfois si nous n’avons pas été un peu folles d’entreprendre cette aventure.
- Moi aussi je suis morte. Nous sommes veilles maintenant, c’est cela qui nous fait douter.
- A la fin nous doutons de la vie probablement pour mieux accepter la mort.
- C’est notre propre programme interne qui nous amène à cela. Je trouve que c’est plutôt bien fait.
- Heureusement qu’il y a l’enthousiasme de toutes ces jolies femmes qui continuent de transformer notre univers.
- Je suis moins en verve que toi sur ce point là. Nous n’en avons croisées que quelques unes qui nous suivent vraiment. Rien n’est gagné.
- C’est parce que les autres sont déjà dans la vie, avec un homme et des enfants. Elles n’ont plus le temps de changer quoi que ce soit.
Dans ces laboratoires de pointe, de nombreuses chercheuses et laborantines sont plus ou moins convaincues de la justesse de la cause dont elles ont vaguement conscience. Mais toutes préfèrent se taire et travailler sans se poser de question n’ayant pas réellement d’avis particulier. Elles en sont restées au stade d’êtres existantes.
- Certains chemins ne permettent pas les demi tour. Elles peuvent seulement continuer sur leur lancée. Plus tard peut-être …
- Mais j’ai appris que beaucoup d’entre elles se sont fait inséminer discrètement avant de retourner vers leurs maris et presque toutes ont eu des filles.
- Notre proposition technique doit recouper un vrai désir profond d’un monde essentiellement fait de femmes.
- Elles sont nombreuses qui souhaitent se protéger des brutalités de toutes sortes.
- Pendant des millénaires il n’y eut que les femelles et les femmes qui se soumettaient qui pouvaient enfanter.
- C’est donc normal que la plupart ne cherchent pas leur propre voie et se contentent d’un statut d’épouse ou de mère.
Dans quelques pays assez peu développés économiquement, la technique de l’insémination artificielle est devenue une règle, presque une obligation, qui permet de réduire les problèmes médicaux à la naissance et par la suite les dépenses médicales de santé. C’est dans ce cadre d’économies que les laboratoires affiliés à la fondation interviennent et multiplient discrètement les naissances féminines.
Partout dans le monde, de nombreuses associations profitent du surnombre déjà réel des femmes pour grignoter de nouveaux droits dans leur vie quotidienne et pour, individuellement, ne plus accepter les risques d’une fécondation hasardeuse puisqu’il existe une méthode douce.
- Croyez bien mesdames que nous vous accueillons avec grand plaisir parce que nous avons envie depuis longtemps de vous dire un grand merci pour le travail que vous avez accompli, dans vos laboratoires bien sûr, mais aussi pour la diffusion que vous avez bien voulu faire de vos découvertes.
Doriane et Julie se regardent et se sourient.
- Nous vous remercions du fond du cœur de vos paroles de bienvenue et du rappel du travail réalisé depuis soixante années maintenant. Le bien être et le bonheur ne prennent jamais assez de places dans nos vies. Dites le partout autour de vous. Pourtant, à la longue, ils s’accompagnent d’un élément dont nous voudrions toutes nous passer mesdames : nos rides.

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Parmi tous les chapitres des règles du 2A.C.M, celui qui concerne le « plaisir de la conception » permet d’orienter plus facilement le choix des futures mères vers le protocole d’insémination organisé autour des propositions bien ciblées des associations du groupe. Depuis longtemps déjà, il est proposé aux candidates à la maternité, une ou plusieurs sessions de préparation, qui encadrent l’implémentation proprement dite et qui offrent aux patientes les plaisirs du massage, depuis la simple décontraction musculaire jusqu’au plaisir sexuel des caresses adaptées, lorsque les femmes l’acceptent ou le souhaitent pour elles-mêmes ou comme étant un plus pour leur futur enfant.
Les six filles créatrices des groupes ont très tôt accompagné les séances d’implantation d’une sorte de rituel d’extase pré implantatoire, que l’habitude, entre elles, des caresses diverses, contribuait à obtenir facilement et même par inadvertance au début.
- Ce n’est pas le plaisir qu’il faut donner. C’est la « magie » qui entoure les enfants conçus dans l’amour qu’il faut transmettre.
Les films, les mythes et les contes de fées pour adolescentes proposent, partout dans le monde, cette croyance à toutes celles qui se sentent inexorablement appelées à supporter les contraintes de la nature sexuée.
- Nous avons un avantage certain.
- Vas y. Dis voir.
- Tous les animaux ont besoin d’un partenaire.
- Pour quoi faire ?
- Pour se reproduire. Tu sais bien que c’est mon obsession.
- Oh ben ça c’est sûr !
- Ils ne peuvent pas se procurer seul le plaisir sexuel dont ils ont besoin.
- Et les hermaphrodites, qu’en fais tu ?
- Rien. De toute façon ils ne doivent pas vraiment prendre leurs pieds ceux là !
- Et pourquoi me parles tu de ça ?
- Parce que ça va être mon tour de « décontracter » les clientes dans moins de vingt minutes.
- OK. Continue.
- Je disais donc, avantage des être humains sur les animaux et en plus avantage des femmes sur les hommes parce que nous on n’a pas besoin de lier le plaisir avec la domination.
- Pas vraiment c’est vrai, mais ça peut être pas mal non plus.
- Tu aimes les fouets et les élastiques ?
- Oui. Quand ce n’est pas trop fort et juste pour faire semblant.
- Nous préférons toutes pouvoir nous laisser aller dans ces moments là …
- Quand ce n’est pas notre tour de jouer aux hommes.
Tout au long de leurs années de promotion pour leur association, les six fondatrices prirent souvent le temps de montrer aux équipes qui les accueillaient, les réactions du fœtus, visualisées au travers de l’accélération de son rythme cardiaque, lors de situations particulières, bien spécifiques et reproductibles dans une salle où pouvait s’installer une échographie.
Aujourd’hui ce sont leurs descendantes spirituelles qui montrent les différences de réponses d’un fœtus habitué ou non à un type de musique, aux sautillements de leur mère ou au tapotis de la main des maris sur la peau bien tendue du ventre de leur épouse. Dans les cas plus rares de futures mères un peu plus audacieuses ou curieuses, elles montrent que l’enfant à naître réagit lui aussi aux sensations que celles-ci éprouvent à la jouissance de leur corps. En continuité avec la mémoire des sensations perçues pendant la vie intra utérine, ces situations de bonheur compléteront plus tard, le panel des situations qui rappelleront aux nouveaux nés leur tranquillité amniotique.
- Les femmes qui naîtront après cette expérience et cet apprentissage, seront ainsi moins dépendantes de l’autre sexe.
- C’est ce qu’on espère. Mais nous n’en savons encore rien.
- Si nous nous en tenons à la théorie, la reproduction sexuée est une variation parmi tous les possibles de l’ontogenèse.
- Nous devons donc posséder dans notre patrimoine des allèles qui nous prédisposent à l’auto reproduction.
- Je sais, j’ai fais comme toi des études de bio.
- Ne te fâche pas ma belle.
- Mais alors pourquoi est-ce la duplication sexuée qui a gagné ?
- Tu le fais exprès ?
- Non. C’est une vraie question.
Elles sont presque rhabillées. Toutes les clientes sont parties.
- Tout simplement parce que les sexués sont plus que les autres poussés à se reproduire et à détruire ceux qui sont moins combatifs, ceux qui n’ont pas besoin d’aller chercher un partenaire.
- Avoir besoin de l’autre c’est presque logiquement chercher à le dominer pour l’avoir à disposition.
- D’ailleurs chez les mammifères un seul mâle très activé suffit pour plusieurs femelles.
- C’est celui qui est le plus « possessif » et le plus belliqueux qui transmet sa manière d’exister.
- Quant à celles et ceux qui ne sont pas « tendance bi sexuée » ils passent inaperçus et se trouvent éliminés par un milieu non favorable à leur épanouissement.
- La sélection peut donc jouer.
- Ce qui ne veut pas dire pour autant que la tendance « homo » ne soit pas présente partout. Il suffit que les autres se reproduisent peu …
- Ou que le milieu, surtout pour les femmes, ne les oblige pas à enfanter la semence des mâles dominants.
Nadia referme la porte et replace les clés dans son sac à mains. Colette, sa compagne, vient se serrer contre elle. Il ne fait pas très chaud et la fatigue l’envahit.
- Nos patientes qui acceptent l’auto plaisir pourront se passer plus facilement du poids historique de la séparation de l’espèce, devenu nécessaire durant le temps de la reproduction.
- Si ce que nous croyons se réalise !
- Sans compter le fardeau ajouté des religions, des lois et des exigences des mâles.
Un fantasme qui les relie toutes entre elles depuis qu’elles se connaissent. De quoi compenser peut-être le souvenir que laissent les coups ou les situations de stress des années d’enfance.
- Tu as été battue par des hommes ?
- Non. Pas moi. Mais je connais des femmes qui l’ont été. Ma mère fut frappée quelques fois.
- Tu l’as vu ?
- Non je l’ai su.
- Tu lui as demandé ?
- Non. Je l’ai appris par des amis de la famille qui n’ont pas toujours fait attention à ma présence, lorsqu’ils se réunissaient.
- Peut-être que ta mère a été frappée pendant ta grossesse.
- C’est peut-être pour cela que je voudrais un monde sans homme, un monde sans coups, un monde sans brutalité, seulement un monde de plaisir.
- Tu as toujours eu cette envie ?
- Toujours. Du jour où je suis née. Je crois que j’ai vu la première lumière de la vie avec la rancœur contre les mâles.
Très souvent, il ne faut presque rien pour qu’un enfant décide de sa route, de ce qu’il veut, de ce qu’il fera. Et c’est ainsi que notre terre se met à bouger et s’inscrit dans l’éternelle évolution. Un peu de gène et un peu de vie pour que notre humanité se mette à trembler.

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Les tournées mondiales, continuées par les filles et petites filles des fondatrices, participent à la fois à la continuité des transferts scientifiques et à l’évolution des recherches de leurs laboratoires.
- Nous pouvons et nous devons cerner au mieux les caractéristiques du comportement humain, susceptibles de se transmettre avec notre patrimoine génétique. C’est notre première ligne de recherches dans nos structures d’innovation. Nous sommes là dans l’inconnu scientifique.
Bérénice termine de passer sa blouse blanche et d’en nouer la ceinture.
- Ces recherches doivent aboutir afin que nos laboratoires soient toujours en avance. Nous pourrons ainsi offrir partout une préparation de plus en plus précise des ovules que nous expédions pour les naissances assistées.
Bérénice informe alors son auditoire que depuis quelques années les techniques de reproductions en laboratoires, permettent de multiplier massivement les cellules souches de diverses provenances, de les cultiver, de les « travailler », et de les conserver.
- Nous disposons cette fois d’un matériau génétique expérimental inépuisable, sans le carcan des problèmes éthiques du siècle dernier. Nous devons foncer dans cette voie nouvelle.
Elle fait défiler sur l’écran les quelques informations sur les précautions nécessaires à propos des séquences manipulatoires pour obtenir la multiplication des cellules souches. Les questions et les réponses s’enchaînent avec la dizaine de femmes présentes.
- Nous avons un deuxième axe de recherche, qui consiste essentiellement en une réactivation, une extension des possibilités offertes par une technique déjà ancienne.
Il s’agit de l’utilisation du génome du baculovirus qui conserve ainsi tout son rôle dans les salles de recherche quat à sa capacité de délivrer des protéines bien précises, compatibles avec les cellules humaines.
- Presque toujours, il suffit de quelques protéines, en trop ou en moins, dans notre corps pour qu’apparaissent des différences de fonctionnement ou de comportement dans ce dernier.
- Dans ce cas là il ne s’agit pas d’intervenir sur l’ovule lui-même.
- Non bien sur. Il s’agit de nous concentrer sur l’aspect de la « modification génétique externe » que nous permet la concentration intracellulaire en protéines diverses.
- Nous évitons ainsi des maniements importants qui restent trop aléatoires malgré tout. C’est bien cela ?
- C’est exactement la raison qui nous pousse à reprendre cet axe de travail un peu lourd, mais sans surprises.
- Qu’apporteront ces productions massives de protéines ?
- Il ne s’agit pas de production massive tout simplement parce que quelques milligrammes de protéines suffisent souvent pour corriger un fonctionnement cellulaire.
Bérénice tourne quelques pages sur son ordinateur et boit une gorgée d’eau.
- Ces protéines bien précises doivent nous servir pour les divers traitements qui accompagnent l’éducation de certaines filles qui naissent dans les centres.
- Vous parlez des déviantes.
- Ce n’est certainement pas le terme que j’utiliserais. Je pense surtout aux filles dont les relations sociales sont difficiles. Il ne s’agit pas de toucher aux pensées individuelles.
Grâce à l’énorme banque de données afférente aux diverses structures génomiques des cellules souches, une analyse génétique rationnelle, permet lors des envois de la matière première nécessaire aux implantations, de sélectionner les cellules ne comportant pas d’erreur chromosomique pour les caractères psychologiques et physiques déjà repérés.
- Le tri des ovules occasionnait de très nombreux rebuts et nous devions souvent nous contenter d’un produit à peu près certifié conforme aux souhaits exprimés.
- Avec les nouvelles les capacités qu’autorisent les cultures en milieu artificiel nous pourrons nous permettre un taux de refus plus important pour offrir un produit mieux certifié.
- C’est beau l’enthousiasme de la jeunesse. Nous y arrivons, nous y arriverons. Ce n’est pas encore automatisé, mais nous le ferons. Il faut que nous puissions mécaniser pour que les erreurs disparaissent.
Quelques rires fusent parmi les participantes.
- Le concept de la réactivation de production des protéines vise à corriger ce que nous ne savons pas encore réaliser directement dans l’ovule lui-même, ce qui ne serait pas économiquement rentable.
Toutes les femmes présentes espèrent réduire le nombre d’entre elles encore trop belliqueuses, trop égoïstes ou trop sensibles aux addictions et qui enveniment les relations sociales dans leurs groupes.
- C’est pour cela que nous ne pouvons pas supporter de vivre dans les métropoles. Le nombre de caractérielles est trop important dans de telles concentrations de populations.
- Il n’y a pas que le caractère, il y a aussi que nous sommes trop nombreuses et qu’on se marche forcément sur les pieds.
La carte du patrimoine génomique de milliers de filles étudiées à cause de leurs caractéristiques comportementales permet de localiser sans difficulté les allèles en jeu. La comparaison avec ceux de milliers d’autres filles dépourvues de ces caractéristiques, permet des choix d’ovules presque assurés.
- Les progrès de nos connaissances à propos des gènes efficients dans le domaine de nos comportements sociaux, doit nous motiver quand nous patinons dans nos recherches.
- Les dernières statistiques des trente principaux pays, indiquent une baisse du nombre de celles qui deviennent sensibles à l’alcool, aux drogues ou au tabac.
- Et c’est particulièrement vrai dans la toute dernière génération des moins de vingt ans.
- Nous y arrivons je peux vous l’assurer.
Premiers pas, les plus faciles sans aucun doute, mais qui permettent d’éviter de nombreuses déchéances et violences individuelles. Les descendantes des créatrices continuent inexorablement leur quête de la paix, sans appel aux paroles. Rien que de l’automatisme génétique.

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- Taisez vous et écoutez.
Les femmes qui suivent le programme d’aide au choix maternel, viennent régulièrement dans la pièce à musiques de cette association. Elles offrent à leur enfant à naître l’occasion d’entendre toutes les mélodies du monde.
- Il ne faut pas de bruits parasites. Nos enfants doivent associer le calme à l’écoute de la musique.
- C’est ainsi que plus tard cette situation deviendra une forme normale de décontraction et d’anti-stress pour nous baby d’amour.
Quatre femmes sont allongées dans de larges fauteuils de relaxation.
- Allez-y, nous sommes prêtes.
Le niveau sonore est assez fort pour que les ondes parviennent jusqu’aux bébés plongés dans leur liquide prénatal.
D’autres mamans se retrouvent dans la salle d’à côté pour jouer avec des ballons, des quilles ou danser entre elles quand la musique s’y prête.
- Il paraît que les enfants qui sont nés avec des programmes de préparations comme le notre sont à nouveau des enfants qui bougent et qui sont moins gros.
- Au moins ça sert à quelque chose qu’on se remue.
- Il va falloir que nous inventions de nouveaux sports puisque nous n’avons plus que des filles.
- Ce n’est pas la peine. Nous ne sommes pas obligées de faire du sport comme les hommes. Nous ne sommes plus à l’époque où nous les croyions indispensables pour notre bonheur.
- Nous n’avons plus besoin de faire comme eux de peur de ne pas en avoir un.
- Ma grand-mère me racontait qu’elles se gelaient les miches sur les stades de foot et de rugby pour garder un amoureux qui jouait tous les dimanches.
Elles rient tout en continuant leur marche rapide le long des murs.
Une petite sonnerie se fait entendre, la durée de la séance est épuisée, d’autres femmes attendent que la place soit libre. Elles se retrouveront pour le reste de la soirée avec d’autres groupes pour le repas, les soins des tout petits, l’apprentissage de la lecture, de l’écriture et du calcul pour les petits. Pour les grands les cours se passent sur Internet en compagnie de celles qui se sont spécialisées dans un domaine culturel ou scientifique.
Dans les groupes de femmes l’organisation omniprésente, ne l’est jamais pour plus longtemps que la journée à vivre. Habituées à regarder dans leurs miroirs les années qui s’écoulent, elles abandonnent avec l’adieu aux hommes, la manie qu’ils avaient de vouloir figer les choses dans l’ordre ou le savoir.

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Les six filles qui inventèrent le concept de monde au féminin sont mortes depuis quelques dizaines d’années. Partout dans le monde, les petites filles des petites filles nées des premières conceptions artificielles aidées, sont devenues mères à leur tour, presque toujours par implantation dans les laboratoires.
- Nous passons à la clinique pour concevoir un enfant comme nos ancêtres y allaient pour accoucher.
- Je n’y vois pas là ce que nous réalisons de mieux.
- Nous dépendons un peu plus de nos techniques.
- J’espère que nous ne changeons pas simplement de maître !
A chaque nouvelle génération les femmes possèdent quelques avantages physiques un peu plus proches de la perfection que leurs mères. Presque toutes disposent des canons de beauté qu’exhibaient les miss qui concouraient devant les télévisions quand elles se faisaient couronner, dans les dernières années du vingtième siècle.
- Tu ne trouves pas qu’on se ressemble un peu toutes ?
- Fais voir.
Morgane se regarde dans la vitrine et puis dévisage sa compagne Adeline. Elle se retourne et regarde toutes les filles et femmes qui marchent dans la rue.
- Tu as peut-être un peu raison, notre ville ressemble à une sorte de vitrine remplie de poupées barbie.
- Je m’en moque. Je préfère être belle comme les autres que moche toute seule.
- Et moi j’aimerais être plus belle que toutes les autres belles.
- Tu sais bien que ce n’est pas possible puisque nous sommes toutes fabriquées de la même façon.

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Ailleurs dans le monde, dans presque tous les villages de nombreux pays, les femmes devenues très majoritaires en nombre se regroupent et s’organisent pour assurer l’éducation de leurs filles sans pour autant s’attacher les services d’enseignantes étiquetées comme telles.
- Avez-vous envie de revenir en arrière ?
- Surtout pas maintenant que je sais que je peux me débrouiller.
- Alors il faut vous remuer. Etre libre ce n’est pas toujours drôle.
- Je le sais, je vais faire ce que nous avons prévu.
- Etre libre ce n’est pas que la liberté, c’est aussi des obligations.
- Je continuerais de m’occuper de la classe des petites de cinq ans.
Une organisation plutôt stricte, bien que très communautaire, accompagne la mise en place des aides aux naissances. Les laboratoires ont conservé pour cette action commerciale des méthodes d’accompagnement et de contrôle des populations, semblables à leurs campagnes de vente des médicaments.
- Nous devons nous organiser comme pour les vaccins ou les distributions de nourriture.
- Je le sais.
- Ce sont les humanitaires qui nous ont appris cela. Il faut de l’ordre pour survivre.
- Je sais. J’étais un peu énervée à cause de mon mari. Pas une autre femme ne veut de lui !
- Même pas Bhounerah ?
Le temps des repas préparés en commun est un moment important pendant lequel les femmes se répartissent les tâches quotidiennes indispensables à la communauté. Elles se complètent en fonction des capacités et des envies de chacune : éducation – nettoyage – réparations – étude – loisirs – sport – musique – cuisine - culture. Toutes les activités du jour ou entamées depuis longtemps sont passées en revue et personne ne songe à éviter sa participation.
- Je m’occuperais de la réparation des canalisations. Je vais en ville demain et je ramènerais les outils qui nous manquent.
- As-tu besoin d’aide ?
- Je travaillerais avec Maholéne et Bhounerah, comme la dernière fois.
- Demande lui aussi pour ton mari.
- Ce ne serait vraiment pas un cadeau. Il est nul pour tout.
- Et moi je prépare la salle de musculation. Nous avons un nouvel appareil que j’ai fini de monter hier soir. Il nous servira pour arrondir nos fesses.
- Je croyais que le roller était la meilleure solution.
- C’est vrai, mais quand la saison des pluies est arrivée, il faut bien continuer de muscler notre popotin.
- Avec Mémahane je couperais les cheveux des petits garçons.
- Toi au moins tu auras vite fait.
- Ne crois pas cela. Dans les trois villages de la mare quelques femmes ont encore recours aux hommes pour avoir des enfants.
- Et elles viennent jusqu’ici pour faire coiffer leurs marmots ?
- C’est pour ce prétexte là qu’elles peuvent se libérer un peu et que leur pratique ancestrale de reproduction devient une rareté là bas aussi.
Seuls les amusements des amours ont gardé leur aspect libertaire, sans horaire ni partenaire. Chacune participe de son mieux aux plaisirs des autres, pudiquement, dans les quelques salles réservées aux adultes où des collections d’instruments multiples s’adaptent à tous les désirs imaginés.
- Je vais aller me détendre dans la ronde.
- Si tu as encore besoin de moi, tu sais où me trouver.
- Amuses-toi bien.
Elles peuvent se filmer et se regarder les unes les autres à toute heure de la journée et de la nuit ou tout au contraire se cacher loin de tous regards, même électroniques.
- C’est la salle réservée aux femmes. Tu ne peux pas entrer.
- J’ai besoin d’une femme, je veux rentrer.
- Va sur la place et demande si l’une d’entre nous accepte d’aller avec toi. Mais ici c’est interdit aux hommes. C’est comme ça maintenant.
- Qu’est-ce que vous fabriquez là dedans ?
- Ça ne te regarde plus maintenant. Va fumer sur la place et essaie de te trouver une partenaire.
- Et si je n’en trouve pas ?
- Reviens me voir. Mais pour l’instant tu t’en vas.

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Dans tous les pays la structure des budgets des états présente de sensibles modifications. L’arrivée progressive et désormais massive des femmes, élues dans les diverses assemblées, provoque partout une réorientation des responsabilités vers les régions et les villes. Les états en tant que tels perdent presque tous beaucoup de leurs attributs traditionnels du siècle précédent. Peu à peu les armées ont été démantelées.
- L’hurluberlu du kingamba a été retrouvé mort la nuit dernière.
- Où as-tu trouvée l’information ?
- Dans la rubrique « faits divers » de « Femmes opinions ».
- Tu lis encore ce torchon là ?
Episode banal de la période intermédiaire, avant la généralisation du désarmement.
- Il y a bien longtemps qu’un hommes a tenté d’utiliser les armes pour conquérir la tête d’un état ou d’une ville.
- Il parait même qu’elles leur auraient coupé les choses.
- Mais par bonheur ils n’en avaient pas.
- Tu connais les chansons de Georges Brassens ?
- Bien sur. C’est immortel des couplets comme les siens.
Ceux qui éprouvèrent cet attrait de la domination sont tous décédés en quelques mois, empoisonnés ou assassinés. Des actions souvent peu spectaculaires, mais parfaitement efficaces. Des actions de femmes déterminées à ne plus accepter de retour en arrière. Elles démontraient sans grands discours, qu’il n’est pas possible d’être dictateur dans des pays où les femmes sont majoritaires en nombre ou en droits.
Les grandes constructions monumentales des temps écoulés sont maintenant des sortes de musées et les villes monstrueuses, mégalopoles du millénaire passé n’existent plus que comme des lieux de promenade. Là où les populations diminuent fortement les cités se parsèment de parcs qui succèdent aux grands immeubles implosés. Seuls les laboratoires de bio technologie se sont développés, seule science à conserver un intérêt pratique aux yeux de la population féminisée.
- As-tu entendue la nouvelle ?
- A propos de quoi ?
- Après les états Unis, l’Inde vient de renoncer aux colonisations des planètes.
- Nous n’allons plus sur mars ?
- Non c’est fini. La nouvelle majorité de femmes a décidé de s’occuper de notre terre. Nous n’avons plus besoin de nous exporter.
La statistique sur la population mondiale indique une forte baisse en une centaine d’années.
- Nous sommes repassés sous la barre des six millions de terriens.
- De quoi régler bien des problèmes de pollution, de transports et de nourriture ainsi que ceux liés à la concentration citadine.
- La réduction du taux de natalité était déjà sensible à la fin du deuxième millénaire après Jésus Christ.
- Mais nous avons sérieusement contribué à booster cette tendance.
Avec la très forte diminution des mâles depuis un siècle, s’installe maintenant une dissociation naturelle entre le plaisir charnel et la procréation. Le besoin sexuel constitutif et instinctif n’est plus connecté à l’un de ses effets indirects qu’était la procréation.
- Tu t’es inscrite dans la planification ?
- Il faut bien que quelques unes d’entre nous fassent des enfants.
Dans chaque commune une section de planification permet aux femmes d’organiser leurs naissances avec l’appui des laboratoires regroupés dans les grandes villes.
- Ce serait bien des robots.
- Encore des robots. Nous en avons partout !
- Ceux là ce serait pour élever les enfants. C’est une vraie corvée. Ça nous prend tout notre temps.
- Des nounous électroniques capables de changer les couches, donner à manger et raconter une histoire pour les endormir.
- C’est ça qui serait bien.
- Ou alors, puisque ce sont les jeunes qui doivent porter les fœtus jusqu’à la naissance, il faudrait que ce soient les veilles qui s’occupent des enfants une fois que ceux-ci sont nés.
- De toute façon, après un certain age, elles n’ont plus envie de s’amuser, ça les occuperait.
Ainsi va la vie, suspendue aux caprices de nos cellules, à leur durée, leurs arrangements, leurs dérèglements. Des cycles mystérieux et implacables que nous oublions tous.

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En plus d’un siècle et six générations, l’atmosphère de la terre a changé.
- La dernière prison de la région vient de fermer.
- Et les gangsters où on les met maintenant ?
- Il n’y en a presque plus. Ils sont comme les dinosaures …
- En voie d’extinction.
Depuis que les hommes sont très minoritaires et vieillissants et que les bistrots ont presque tous disparus, les crimes, vols, contrebande, attaques, pédophilie et viols se font très rares.
- Les juges et les avocats aussi sont en voie de disparition.
- Comme quoi il existe des solutions à tous les maux.
Parallèlement à cet amenuisement masculin, les femmes désormais surnuméraires, assurent leurs désirs au quotidien sans que cela nécessite crimes et viols comme dans le passé. Quelques une parmi elles, qui apprécient les hommes, assument la quiétude des mâles encore nécessaires pour féconder les ovules des laboratoires.
- Je te verrais bien en vestale des temps modernes.
Partout la vie est apaisée. Les civilisations se sont peu à peu stabilisées. La vie animale a repris sa place dans l’existence humaine. Il n’y a plus que par ci par là quelques cubes de béton, éclairés jour et nuit, où les femmes qui vivent encore, continuent de manipuler leurs gènes afin que leur vie soit tranquille.
- Est-ce que tu sais pourquoi nous avons réussi cette mutation ?
Bellonis et Marionne sont assises dans le seul bar qui garde encore quelques tables sur la terrasse de la place des reines.
- Parce que nos arrières grand mères avaient techniquement le savoir faire nécessaire pour refiler les ovules à toutes leurs compatriotes.
Elles portent leurs gros manteaux d’hiver. Il fait un temps splendide mais la température indique une graduation inférieure au zéro. Elles arborent aussi les grandes bottes qui montent jusqu’aux genoux, sorte de point de repère pour les femmes qui sont disponibles pour tout.
- Je ne te parle pas de la technique, je pense au résultat final, à la vie entre nous. Pourquoi ça marche sans les hommes ?
Dans leur arbre généalogique elles se placent dans la lignée des six fondatrices du mouvement du monde au féminin. Elles gardent des tas de souvenirs de l’aventure depuis ses débuts. Elles aussi sont militantes.
- Ca ne pouvait pas marcher tant qu’il y avait des hommes parce qu’un mâle doit s’assurer de sa force sexuelle, de sa force musculaire et de son pouvoir sur les choses ou les autres.
- Tous les groupements animaux sont bâtis sur ce modèle « je domine ou je me soumets ». Ca n’explique pas pourquoi nous avons une société de femmes sans troubles réels.
Elles n’ont pas de vrais parents, seulement quelques mères qui se sont occupés d’elles pendant toute leur enfance, qui les ont nourries, éduquées, promenées et fait grandir toutes ensemble.
- Nous n’avons pas de gènes qui nous poussent à conquérir. Nous sommes satisfaites de ce que nous avons ou recevons. Nous n’avons pas besoin de séduire continuellement et la satisfaction de nos besoins n’est pas une preuve de notre valeur mais juste un bonheur qu’on se donne.
- Peu nous importe qui où et quand.
- Nous n’éprouvons pas le besoin de posséder, c’est pour cela que nous vivons calmement et que nous n’inséminons pas plus d’enfants que nécessaire pour jouer à la poupée et perpétuer l’espèce.
Elles restent encore un peu et comme aucune autre femme n’est venue à leur table elles partent ensemble pour une fin d’après midi de plaisir à deux dans une des chambres disponibles dans tous les petits immeubles de la ville. Elles y retrouveront peut-être d’autres filles qui ont envie comme elles de se faire du bien.

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Les grandes entreprises industrielles disparaissent du paysage partout dans le monde. Aucune femme ne s’est déclarée désireuse de reprendre de telles structures et les bâtiments ont été réutilisés pour en faire des salles communes, des logements, des galeries marchandes, des salles de classes.
La bourse de Paris fut la première à fermer, rachetée par celle de Frankfort qui elle-même a fermé. Toutes les autres bourses se sont closes. Les femmes n’ont pas vraiment besoin de retraite, de fortune ni de carrière. Les campagnes accueillent de nouveau de nombreux groupes qui viennent cultiver et récolter la nourriture nécessaire à leurs besoins. Les restaurants ont fait place aux repas de copines, préparés ensemble.
L’économie du vingtième siècle est morte et les gens vivent.

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Le monde ne compte plus beaucoup d’hommes, ce sont ceux des régions lointaines, reculées, des tribus hors civilisation. Presque cinq cent ans se sont écoulés. Le groupe toujours secret s’est octroyé comme mission finale la stérilisation de tous les hommes qui naissent encore d’accouplements physiques ordinaires. Ce sera leur condition de survie.
Ce sont des hommes gays.

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Epilogue


Dans cette grande plaine africaine Madezzene vient d’envoyer l’ultime pelletée de terre noire. Elle tasse un peu la terre avec le dos de la pelle.
- Voilà la dernière tombe. Il n’y a plus que moi maintenant.
Mais au même moment, alors qu’elle commençait à s’agenouiller pour un définitif au revoir à son amie, elle entend une voix qui semble venir du ciel.
- Te voilà bien seule maintenant.
Madezzene se demande évidemment si elle ne devient pas folle, vaincue par les émotions de cette mort, la presque fin de l’humanité.
- Non Madezzene tu n’es pas folle. C’est bien moi qui t’appelle.
Elle se redresse tout à fait et cherche autour d’elle. Il n’y a personne, que des cailloux de chaque côté de la grande faille du rift. Et le ciel bleu.
- Qu’avez-vous fait de ma terre ? J’avais lancé l’évolution exactement là où tu es, il y a quelques millions d’années.
Est-il possible que ce soit … Non ce serait vraiment idiot… Non il est mort et bien mort. Ce ne sont que des voix imaginaires.
- Tu doutes encore n’est-ce pas ? Et pourtant c’est bien moi.
Madezzene regarde encore, se frotte les yeux, relève ses cheveux longs qui l’encombrent un peu.
- Vous êtes le créateur ?
Mais il n’y a pas de réponse.
- Eh, vous l’espèce de voix théâtrale, vous le dieu bon à tout faire ?
Elle entend pour toute réponse un fort grondement, comme si un monstre se raclait la gorge.
- Ne soies pas médisante Madezzene, si ça a raté vous y êtes bien pour quelque chose. Non ?
- L’original c’est bien vous quand même ! Ce n’est pas nous. Nous avons du faire avec depuis des dizaines de milliers d’années.
Le vent souffle. Il souffle toujours dans les moments dramatique comme l’est cet instant de la vie du monde.
- Quand j’ai lancé le monde, avec mes petites mains, je ne savais pas trop comment faire. C’était la première fois.
- Soit je vous concède que vous ne pouviez pas prendre modèle. Il n’y avait rien.
- Je suis bien aise que vous le reconnaissiez, car les humains vous n’êtes pas prompts à la reconnaissance en général.
Madezenne pense aux églises, aux cathédrales, aux mosquées, aux synagogues, à tous les temples qui couvraient la terre il y a bien longtemps.
- Quand même ! Je vous soupçonne de perdre un peu la mémoire et d’être rancunier comme le sont toutes les personnes un peu âgées.
- Je disais donc j’ai lancé la création, l’histoire des six jours de boulot et le septième pour le repos.
- Ce jour de repos ça ne m’étonne pas de vous. Là je crois que vous dites la vérité.
Cette fois le tonnerre gronde. Dieu ne semble pas emprunt de la sérénité divine qui sied pourtant à un dieu.
- Ce que tu ne sais pas c’est que l’homme ce n’est pas moi.
- Qui alors ?
- Sans doute un autre qui avait mieux réussi que moi. Un dieu qui avait fréquenté le concours Lépine.
- Ne vous défilez pas. Qui et où ?
- Les martiens, il y a fort longtemps. Ils ont débarqué là où tu es.
Madezzene n’en croit pas ses oreilles. Elle n’est pas folle, elle rêve tout simplement.
- Et vous n’avez rien dit ?
- Au début j’ai bien essayé et puis après quelques milliers d’années …
- Vous n’êtes pas un rapide vous au moins.
- Quand on a l’éternité, le temps n’a pas beaucoup d’importance ma petite Madezzene.
- N’essayez pas de m’amadouer, au fait, venez en au fait.
Dieu prend une grande respiration.
- Quand j’ai vu les églises qui mettaient en place des tas de systèmes pour m’adorer, me rendre hommage et m’attribuer la création du monde, je me suis dit que ce n’était pas la peine de leur faire de la peine. Au fond je les trouvais bien gentils tous ces humains.
- C’est vraiment la meilleure. Et dire que nous avons mis en branle toute cette histoire pour en arriver là. Des siècles à améliorer la race à votre place pour s’entendre dire des sornettes pareilles. Vous n’êtes pas du tout sérieux.
Madezzene se prend la tête entre les mains. D’après les romans déjà écrits elle doit avoir envie de pleurer à ce moment précis du dénouement.
- Si vous le voulez je crée Adam pour qu’il soit votre compagnon.
- Adam ?
- Oui je vous l’envoie sous quinzaine. Vous savez ce que c’est avec les congés et les ponts…
- Adam ?
- Vous ne risquez rien il n’y a pas de pommiers dans ce désert de l’est africain.

Voilà pourquoi les histoires sont toujours les mêmes et toujours différentes. Un fois dans un sens, un coup dans l’autre.

Quinze jours plus tard Adam est descendu du ciel, beau comme un dieu.
Et tout a recommencé.
Mais cette fois c’est Adam qui va faire la vaisselle … enfin au début.

La suite vous connaissez.

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Artémis une chercheuse
Doriane fondatrice et informatrice

Josiane responsable du laboratoire Julie fondatrice
Naïade une laborantine
Raymonde la première mère

Eve première fille née des éprouvettes – fille de Raymonde
Aurore deuxième fille              - fille d’Artémis
Clémence troisième fille          - fille de Josiane
Adonise quatrième fille           - fille de Naïade
Cléopâtre cinquième fille        - fille de Julie
Marianne sixième fille            - fille de Doriane

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mars 1999 - novembre 2005

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