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Courte biographie | Nouvelle 27 4pages |
Aussi loin que remonte ma mémoire, je ne garde pas souvenance d’être né. Et lorsque mon regard se retourne dans ce long entre temps, je ne rencontre pas les heures où l’on m’appelait l’enfant. Disparues ? Mortes nées ? Oubliées ? Effacées ? Inutiles ? Aussi loin que je fouille l’avenir je ne me souviens pas de ma mort. Aussi persévérante que soit mon attention je n’aperçois jamais la fin de ce que j’entreprends. Ma vie se coule, éternelle, quoique déjà datée. Elle débute à la fin de ce qui n’était rien et se finit au tout début d’après. Un espace-temps sans repères, jalonné d’infinitudes. Quand ai-je atteint les rives où s’agrippent les amarres ? Où ai-je pu enrouler les mots qui écrivent une vie, son début et ses fins annoncées ? A la fin des jeunesses probablement, quand j’ai su me survivre seul. Je vois paraître les voix nouvelles et j’entends les lugubres abandons qui nous rendent à la terre ou au feu. Mais je suis spectateur, acteur absent en quelque sorte, ailleurs qu’ici, autre part que présent. Je ne suis déjà plus n’ayant jamais été. Infini par absence d’origine. J’ai entendu toutes mes identités, elles ont couru autour de moi et j’ai regardé ce dessin magnifique aux traits marqués de tant de ces pinceaux qui donnent des couleurs à toutes transparences. Mais sont tracés d’autres tableaux où je suis aussi le contraire, de l’autre côté de la toile. Mes cartes identitaires ne m’ont pas renseigné. Je passe. Aucune gare encore n’a pris le nom d’étape Je suis déjà ce que j’étais quand j’aurais pris de l’âge. Je suis déjà le tout qui ne sera jamais. Il faudrait que je plonge dans le feu de la vie. Il faut disparaître pour dire ce que l’on fut ou n’avoir pas vécu pour dire ce que l’on est. De tout ce qui fut ne reste que l’invisible, les autres, tous les autres et ceux là qui me parlent, qui m’offrent à déjeuner, qui m’apportent l’amour, qui me donnent le bonheur. Je ne sais pas vous le dire, le décrire, ce que c’est mais ils me l’ont donné et me le donnent encore. Et je le prends. C’est ma vie, sans consistance, sans repos, sans arrêts. Sans avenir sans rien autour, ni avant, ni après. - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - Au bord de l’eau, en haut d’une falaise, devant l’immensité de la mer filant vers l’océan. J’ai derrière moi, déjà plus de onze ans. Tout bruisse. Les voix d’autres qui jouent. Les voix des vagues à peine audibles. Les voix du vent que je sens sur tout mon corps. Je ne sais pas pourquoi je suis ici, debout face à ce bleu parcouru de nuages. Je suis un point dans quelque chose d’immense, d’infini. Je ne sais pas. Je ne suis rien. Je fixe des pitons. Je grimpe et je ne sais toujours pas pourquoi je grimpe. Nous sortons et marchons sur les pavés de la route qui monte. J’explique que j’ai su répondre, ne pas me laisser faire. La femme n’était pas jeune devant ces deux gamins en vacances. Elle maniait le verbe avec difficulté. Je pavane. Je suis le roi. Il m’écoute. M’entend il ? Je ne sais pas. Mais moi j’entends ce que je dis. Je deviens extérieur et c’est un autre qui écoute et qui entend. J’étais le roi de quoi ? Quel exploit ? Je n’ai plus jamais su hiérarchiser le monde. Il est là, assis devant moi. Il m’a mandé dans son bureau, en bas de chez nous. Pour être seuls. Il sait que je ne suis pas bien. Comment le sait-il ? Je suis adolescent tout simplement. Mais à cet age il travaillait déjà pour ne pas avoir faim avant de s’endormir. Il ne sait rien de cette étape inconnue. Mais il sent que j’ai mal et les larmes lui viennent. Impuissant. Il ne sait pas quoi faire. Nous ne nous disons presque rien. Peut-être qu’il m’aime. Je suis déjà guéri. Je pars pour l’école. Je suis devenu grand et adulte. Mon père est devenu un ami. C’est la ligne de son corps que je vois, cette ligne qui glisse lorsque je la regarde à nouveau, plus tard. Encore les lignes de ses seins, son ventre plat, son sexe chaud. Les traits presque infinis qui dessinent sa peau, la douceur de ses mains qui dessinent mon corps. Et son sexe qui m’accueille autant qu’elle le demande. Je garde cette même envie de la beauté parfaite, ce même désir de la chaleur des corps. Je perpétue ce plaisir de regarder passer l’autre moi qui me manque. Et toujours, comme autrefois, pour toujours. - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - Courte biographie toute entière dans la mémoire de ceux que j’aime, qui sont partout et m’entourent comme les lueurs des astres qui font la nuit et les jours. Je ne me souviens bien que de ceux qui font battre mon cœur. S’ils le devinent ils prolongeront ce qui fut moi. Le temps des mots et des livres. Décembre 2005 |
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