Poéme 701 | Copyright de l'auteur | |
Le doute |
onde étrange et bizarre que celui où je vis Tout y est terne, tout y est morne, tout y est gris, Comme au pays de Flandres où un jour je suis né Où l’on apprend si bien à se méfier Du temps, du blé et de la vie Où l’on ne sait jamais où commence le ciel Où finit le canal, où vont les hirondelles. Monde étrange et bizarre que celui où je vis Où le sol est trompeur, où fleurit le mirage, Où pousse l’illusion et où tombe la pluie. Terre étrange qui fuit sous le regard humain, Se dérobe, se cache tout au long des chemins Et dissimule son âme sous l’ombre des nuages. Immenses champs de blé jaunissant aux midi Ondulant sous le vent Qui vient s’y promener ou qui passe au galop, Se courbant sous la pluie Et l’orage qui tonne, Frissonnant quand le jour s’endort en rougissant Mais qui cachent en eux les amours de l’automne Les derniers papillons et les premiers corbeaux. Le froid devient le maître et l’on tâtonne en soi ... Voilà où j’ai croisé le doute, cet ennemi Au coin d’un champ, au tournant de l’hiver Et sous « un ciel si bas qu’un canal s’est perdu » Rencontre bien étrange qui grillage la vie, Qui gèle notre cœur et glace notre vue. Tout comme un pont qui cède, l’horizon s’est ouvert ... Etrange découverte qui nous rend solitaire Lorsque l’on est trop jeune et encore sans frontières Comme les portes d’un désert qui s’étend devant nous Sans qu’on ose l’appeler encore de son vrai nom, L’horizon s’est vidé. |
Douter c’est être seul, c’est être abandonné ... Etrange maladie que celle qu’on nomme doute. Elle fendille le cœur Elle effeuille chaque fleur Elle lézarde notre âme, lentement, doucement Elle nous ronge le crâne, Elle s’infiltre partout. Quand le doute est en nous, il y est pour de bon Il nous colle à la peau Et gagne tous nos membres et nos yeux et nos mains Chaque fois qu’on le chasse Il ne va que plus loin Pour mieux nous y attendre, imprévu et précis, Sournois et faux Invisible et patient. Etre seul c’est douter ... Le doute imperturbable chasse toute illusion. Lorsqu’on a bien douté, après un temps trop long, Le doute est supportable, et tout redevient clair L’étrange disparaît quand il est quotidien ... Et puis un soir le doute n’empêche plus de dormir Le lendemain matin on vit comme tout le monde La terre n’est plus déserte Mais on se prend à rire Au fond tout redevient tel que c’était avant La vie de chaque jour, celle qui est aujourd’hui Pas tout à fait pourtant Une petite cicatrice s’ouvre de temps en temps On ne sait trop pourquoi Elle saigne quelques heures, plusieurs jours quelque fois Et puis elle se referme ... pour un moment 5 Novembre 1966 |
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