![]() |
Une journée au
libre service |
Nouvelle 23 17 pages |
Avertissement de l’auteur. Toute ressemblance avec une situation contemporaine, quelle qu’elle soit, serait tout à fait fortuite, pour ne pas dire de mauvaise foi. J’ajoute qu’aucune tentative d’amalgame ne peut, par avance, être retenue. Il en est de même pour les extrapolations retro actives qui ne tiendraient pas compte du contexte totalement fictif dans lequel se situe le déroulement de cette nouvelle. Serait également inac-ceptable l’accusation de plagiat social et donc de manque d’imagination. Ne vexez par l’auteur ! Rien n’est vrai, tout dans cette histoire n’est que pure fantaisie. - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - Julien et Sandra, après leur déjeuner, se promènent comme tous les jours. Ils ont le temps. Ils n’ont que quelques heures par semaine d’activités obligatoires. Ici où ils vivent, ils n’ont à s’occuper ni des enfants, ni des repas, ni des taches matérielles liées à leur groupe d’habitat. C’est un des rôles de ceux d’ailleurs, là bas où ce n’est pas pareil que dans leur quartier bleu. Leur ville, plutôt moyenne, comme toutes les villes de cette taille dans le monde, est quadrillée de séparations aussi discrètes qu’omniprésentes. On ne peut s’y tromper malgré l’absence de barrières. Les voies de circulation de chaque secteur urbain délimité, disposent de chaussées dont la couleur de l’enrobé est spécifique. Ce sont les affrontements d’autrefois, que leurs parents centenaires ont encore en mémoire, qui ont permis, dans ces temps lointains, de mesurer toute l’ampleur des problèmes exis-tants et ce sont alors les dégâts occasionnés qui ont amené à la réalisation des solutions radicales ac-tuelles. Les premières délimitations des quartiers, maintenant habituelles, datent de cette époque recu-lée. C’est en ultime recours, après des années d’hésitations et de confrontations, souvent brutales, que les habitants de ce pays ont du se résoudre aux distinctions topographiques actuelles. Les évolu-tions scientifiques en un tiers de siècle, ont été telles, que les compétences techniques requises pour utiliser les technologies apparues à la fin du vingtième siècle, ont peu à peu scindé les populations dans le monde, mais aussi dans chaque état. Les compétences nécessitées par les nouveaux métiers ont tout naturellement séparés ceux et celles qui pouvaient ou non les intégrer dans leurs vies de citoyen. Clivages parfaitement visibles au travers de la pauvreté grandissante de certains groupes sociaux, écar-tés de fait de la vie économique des régions. Des millions de personnes sont devenues inutiles et super-flues pour une société organisée socialement comme celle du quartier bleu actuel. - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - Les longues vitres luisantes qui se multiplient tout autour du grand cube, reflètent le ciel presque bleu et ses quelques nuages blancs. Les rideaux de fer qui protègent le magasin, se relèvent sous l’œil rond et impavide des caméras totalement invisibles, dont les faisceaux se croisent inlassablement. - Bonjour Sandy. - Bonjour Harry - Tu devras faire les relevés à 10h 30 ! Robby n’est pas là aujourd’hui. J’ai eu un vimel. Il a une vraie sale tête ! Pas étonnant qu’il reste chez lui. Les multiples portes s’ouvrent toutes en même temps et des dizaines de personnes s’engouffrent avec leurs caddies automatisés dans le grand espace encore vide. - Heureusement qu’il y a les courses pour se rencontrer de temps en temps. - C’est bien la dernière chose qu’ils ne me feront pas lâcher. - Et la voiture ? - Ça y est. Réparée le jour même. Ils ont un bon système de diagnostic. Leurs robots sont impec-cables. Sur la gauche, près des quelques rubans gris qui subsistent encore et qui roulent interminable-ment sur eux-mêmes, quelques hôtesses sont déjà prêtes à offrir leur aide. Inlassablement le clignote-ment des lecteurs de puces va bientôt scintiller pour les quelques clients des quartiers d’ailleurs. En haut, tout autour de l’espace clos, une cinquantaine de caméras, minuscules, de la couleur des travées qui soutiennent la toiture, balaient imperturbablement toutes les allées venues des clients. Comme pour les entrées des casinos, des stades de base-ball, des banques, des aéroports ou des zo-nes sensibles, les visages des spectateurs sont digitalisés et comparés à une base de données d'es-crocs, criminels, terroristes et autres, répertoriés par la police. La sécurité avant tout. C’est le premier magasin en Europe à avoir obtenu la possibilité de garder l’image de ses clients, ainsi filmés, dans une base de données qui lui est propre. Les ordinateurs peuvent donc les reconnaître dès leur entrée dans le hall et leur proposer des promotions ou des informations sur les produits dont ils sont habituellement consommateurs, grâce aux très petits diffuseurs incrustés dans la barre d’appui des chariots d’emplettes. Les femmes et les hommes qui franchissent les portes un peu initiatiques, ont toutes et tous leurs habitudes. Ils se rencontrent et se croisent de semaine en semaine, bien souvent le même jour. Ils sui-vent presque magiquement des chemins tracés invisiblement dans un labyrinthe aux multiples sorties. Chacun regarde et s’attarde vaguement sur les autres semblables qui tournent comme eux. Ils sont tous familiers du décor, des rayonnages, des produits et des promotions. Tous ont un itinéraire de prédilec-tion dans ce hall déguisé en parcours promenade, dans cette agora antique reconfigurée par deux mille ans d’histoires. On entre là sans trop y réfléchir, comme pour un rituel, une grand-messe ou un ciné. On y vient, une liste à la main comme on tient un bréviaire ou autrefois une boussole, suprêmement guidé par des désirs itératifs. Et puis on se laisse aller à fureter, découvrir et même acheter. C’est un moment de dé-tente, de famille quelque fois, de laisser faire, d’oubli ou de conditionnement. Tout sera livré dans quel-ques heures, à moins qu’on choisisse de tout emporter immédiatement. Le commerce électronique n’a pu supplanter qu’en partie ce besoin de la foule, toujours vivace sous une forme ou une autre depuis des millénaires. Quelques-uns, parfaitement intégrés, pointent leur petit lecteur portatif vers les produits désirés et l’enregistrement du code spécifique s’ajoute à leur liste. Ce sont les courses mains libres. Plus tard, le temps de prendre une boisson ou de dîner, et le caddie ou le coffre de la voiture est rempli, en même temps que le compte est débité. Il n’y a que les produits en promotion sur catalogue qui seront livrés le lendemain. - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - Nous ne sommes pas vraiment novateurs. Nous essayons seulement de moraliser des échan-ges, pour ne pas employer le terme de « marchés », qui existent sur les voies électroniques depuis les premiers jours de notre millénaire. Cet hyper « balladium » comme cela s’affiche en lettres immenses tout en haut des grands murs, est encore un peu d’avant garde en cette fin de première moitié de siècle. Il est le magasin initiateur en Europe où l’on peut acheter librement des enfants, filles ou garçons indifféremment. Le directeur du groupe peut d’ailleurs mesurer combien c’est difficile d’être novateur en matière de commerce. Pas simple de coller aux changements de la société ! Il faut, à chaque fois, accepter un vrai pari, afin de pouvoir devancer, même légèrement, les désirs ou les besoins nouveaux des consommateurs. Il faut alors savoir mettre en place un marketing qui contient les raisons ou les mots qui sont acceptables pour permettre une tacite évolution de la réalité. - Nous ne souhaitons pas que l’acte important qu’est la possession d’un enfant ou même sa créa-tion, soit laissée à la seule initiative individuelle. Les activités lucratives, quelles qu’elles soient, doivent être encadrées par une loi. La satisfaction des consommateurs doit être assurée par des sociétés com-merciales responsables. Comme toujours, lorsque des innovations importantes s’expriment dans les relations sociales, des procès s’ouvrent, aussi bien devant l’opinion que devant les tribunaux, et les milliers d’avocats spéciali-sés dans le dédommagement des individus contribuent, au même titre que le milieu dans la théorie de l’évolution pensée par Darwin, à la détermination des modifications légales du droit. Quant aux associa-tions dont le but n’est que la recherche d’une cohérence éthique dans les lois promulguées, freiner le plus possible, est souvent leur seul espoir. Et puis quelques années après, une loi est votée et la vie continue son nouveau cours. L’idée commerciale de réaliser ouvertement les « achat-adoption » d’enfants n’est pas nouvelle. Depuis un siècle les transactions ont lieu presque facilement avec l’Asie et quelques pays de l’Est, me-nés par la Russie. Mais le fait de l’établir commercialement et officiellement avec des enfants unique-ment issus de la communauté européenne passe beaucoup moins bien que prévu. - Nous refusons l’idée du début de siècle, prônée par des sites multiples où des milliers d’enfants sont vendus, au plus offrant d’entre eux, à des parents adopteurs, sans contrôle sanitaire, sans que puissent s’établir préalablement les contacts que permettent nos magasins. Les effets médiatiques et donc publicitaires de ce marché, qui demeure financièrement anecdoti-que, ne compensent pas du tout les difficultés rencontrées par sa mise en place puisque la clientèle n’est pas vraiment plus importante. - Nous ne voulons pas que des personnes s’endettent, comme c’était encore possible il y a moins de vingt ans, afin d’acheter des enfants qu’il faut ensuite revendre pour cause d’insolvabilité. Au plan juridique, les quelques décisions de différentes cours juridiques européennes et interna-tionales interpellées par de multiples associations ou lobbies, ne sont pas parvenues à dire le droit concret, celui de tous les jours, et le flou persiste fréquemment pour la rédaction des contrats et la déli-mitation des obligations de chacun. La société ne sait toujours pas clairement ce quelle doit faire. Les faits évoqués et discutés, dans les divers forums institutionnels ou associatifs, ne sont pas suffisamment nombreux pour qu’une majorité fixe se forme. Les journaux et les télés n’ont pu montrer que quelques exemples, au milieu des débats sans fin sur les droits actuels et futurs. La plupart des habitants, qui n’ont aucune envie de penser, attendent seulement de savoir quoi dire et quoi faire. Il n’y a plus maintenant que les révolutionnaires des quartiers rouges pour croire que les idées entraînent les peuples et eux seuls continuent de manifester avec tracts et mailing électroni-que. Ce sont les derniers désormais à ne pas admettre que les peuples évoluent au seul fil des contraintes matérielles de toutes sortes qu’ils rencontrent. Suite logique de la mondialisation du début de millénaire, ces ultimes controverses sont en réalité déjà dépassées par ce qui existe, par ce qui est accepté globalement et quotidiennement. Les « vente-adoption » d’enfants sont un des résultats d’une lutte planétaire qui a fait que les droits individuels des personnes ont été limités dans leurs réalités. Seules quelques associations portent encore les problè-mes devant des tribunaux de plus en plus désorientés, parce que de moins en moins capables de faire procéder à l’application de leurs propres décisions. Une tentative désespérée de quelques-uns, pour que les êtres humains ne soient pas commercialisables aussi jeunes, pour que le commerce des gens soit réservé à leur seul travail ou aux organes de leur corps, comme cela se faisait encore il y a un quart de siècle. Après s’être implanté durant deux décennies, en surfant sur les idées de la démocratie et des droits individuels, la méthode capitalistique est maintenant fortement ancrée et vécue dans sa version mondialiste. Aujourd’hui beaucoup de pays, autrefois profondément démocratiques, n’ont plus qu’un embryon d’état. Non pas que les services ou les actions sociales de ce dernier soient moins importan-tes, au contraire, mais leur pouvoir sur l’économie s’est tout à fait étiolé et ils ne maîtrisent plus que l’humanitaire de réparation. On a même vu, lors de la mise à jour, l’année dernière, et cela dans l’indifférence totale, que le préambule de la nouvelle constitution européenne a perdu ses références aux droits de l’homme. Les élections fortement espacées, sont ressenties comme ne servant plus à rien parce que, tous les grou-pes industriels et commerciaux sont « hors nation », et que plus aucune règle établie ne peut les attein-dre réellement ou durablement. Pire encore, peu à peu les lois elles-mêmes, en tant que référence juri-dique, ont disparu de beaucoup de pays qui cèdent ici ou là un morceau de souveraineté économique, qui leur échappait déjà, pour se donner l’illusion d’un reste de pouvoir politique. En moins de vingt lustres, la multiplication des progrès techniques de fabrication et de commercia-lisation, permis par la maîtrise des puces électroniques, rend presque inutile les fabricants, les ouvriers et les commerciaux. Seuls sont encore nécessaires les ingénieurs de maintenance et les concepteurs de matériels, de systèmes et de réseaux. Les machines sont en nombre bien suffisant pour assurer le confort, la sécurité, la survie ou les distractions des élites possédantes, celles qui ont su concentrer les usines au début du siècle et qui maintenant se contentent de faire fabriquer par leurs ingénieurs, qui sont de plus en plus souvent leurs propres enfants clonés, les quelques exemplaires de matériel, nécessaires à leur civilisation terrible-ment réduite en nombre et repliée sur elle-même. Les filiations génétiquement préparées sont réservées aux divers collèges du quartier bleu. Ces techniques, bien en place depuis des dizaines d’années, évitent aux femmes de ce groupe les risques de l’accouchement, des mal formations et les inconvénients d’une grossesse démesurément longue pour une femme libre, active et qui se veut sexuellement disponible pour tous ses partenaires. C’est ce qu’elles ont appelé pendant longtemps une conquête de l’égalité des sexes. Techniques qui ont permis de réduire considérablement les naissances, ramenant la population mondiale de nouveau sous la barre des six milliards d’individus. Encore dix fois trop pour le niveau de technologie atteint et l’âge de survie des élites du quartier bleu. Quant aux autres, tous ceux des autres quartiers ils sont devenus inutiles ou incapables de participer au fonctionnement de la vie sociale. Ce sont des restes de morale et de croyance au mérite individuel, incrustés dans les esprits de-puis des siècles, associés au besoin d’une descendance, qui obligent ceux des quartiers bleus, à main-tenir des activités, à défaut de travail réellement utile, pour ces habitants des multiples quartiers d’ailleurs. Et c’est en partie pourquoi la baisse démographique globale du monde demeure lente. C’est aussi la raison pour laquelle certaines substances continuent d’être distribuées, au travers des réseaux d’eau, afin d’assurer plus solidement une calme acceptation des deux univers qui se côtoient. Quoique le processus soit plus long que prévu, Il ne sera malgré tout, probablement pas nécessaire de les élimi-ner autrement que par leur seule dénatalité progressive. - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - Dans cette partie nouvellement aménagée du magasin, on trouve des enfants des deux sexes, de tous les ages jusque six mois et de toutes les couleurs pour les yeux et les cheveux. On les choisit en fonction de leur prix, lui-même fonction de l’origine du laboratoire et du nombre de mois depuis la fabri-cation. Dans les présentoirs, qui ressemblent aux vitrines de certaines boutiques canines, on ne laisse pas les produits plus de quinze jours, ce qui représente l’équivalent, en coût de stockage et de maintient en vie, des bénéfices escomptés. Après cette date ils sont jetés à la poubelle puisque que n’étant pas jugés du goût de la clientèle. C’est cet aspect qui choque le plus les quelques centaines de personnes qui ont commencé leurs manifestations lorsque cela s’est su. En s’appuyant sur les exemples des Grecs, des romains et de maintes autres peuplades, récem-ment encore primitives, qui ont de tous temps exposés leurs nouveau-nés non désirés, le gouvernement a pu rappeler la loi sacrée de l’offre et de la demande, la loi sacrée du marché, la loi sacrée de la na-ture, la loi sacrée du plus fort. Ce rappel fut salutaire et les sondages effectués, sont à nouveau favora-bles. Pourtant les manifestations n’ont pas pris fin avec la seule assurance que la mort de ces « dé-chets » serait obligatoirement constatée avant la crémation. Le grand magasin et sa direction, après quelques mois de discussion, ont alors préféré offrir gra-cieusement ces enfants déclassés, aux « nursery du cœur », sorte d’association très ancienne qui se charge de recycler les produits obsolètes de toutes sortes au profit, est-il dit dans leur prospectus, de gens pauvres ou solitaires qui vivent dans les autres quartiers. D’ailleurs l’hyper « balladium » pour bien marquer sa neutralité, pour bien montrer qu’il considère ce négoce des enfants comme le commerce de n’importe quel autre produit de son magasin, pour signi-fier qu’il ne fait pas de politique, propose une garantie d’un an pour tous les enfants de moins de trois mois. Il s’engage à les reprendre en cas de maladie grave ou incurable et à les détruire lui-même. Bien sur le risque est faible mais le geste commercial est apprécié. En effet le grand magasin, avant la mise en rayons, s’assure qu’une vérification du génome est systématiquement faite lorsque le passé des pa-rents, peut apporter quelques doutes, ce qui est le cas pour les nouveaux types d’enfants obtenus avec des patrimoines génétiques de parents asiatiques, andins ou africains pas encore très bien maîtrisés. Dans ces configurations assez rares, et bien précisées sur les étiquettes descriptives des produits, les laboratoires biogéniques agréés offrent leurs multiples services afin de certifier la qualité de l’achat. Depuis cette première tentative d’autres magasins ont ouvert des rayons offrant des services semblables, souvent en sous-traitance car le risque financier est encore important. Partout les procès intentés par dizaines s’enlisent dans les procédures européennes et mondiales. Les expertises, contre expertises, erreurs de procédures, appels et contre appels font merveilles entre les mains des avocats salariés des groupes financiers et des juges quelquefois plus soucieux des enveloppes reçues que des procédures en cours. Tout cela fait que le commerce des enfants sera bientôt admis comme valable au même titre que celui des adultes quand le travail était encore la règle il n’y a pas si longtemps que cela. Un marketing plus « serré », plus complet, plus adapté aux nouveaux besoins voit le jour. En même temps que les enfants, on vend berceaux, layettes, vêtements pour six mois et un an. Pour cer-tains parents un peu pressés on peut ajouter la décoration de la chambre en fonction du sexe de l’enfant. C’est plus prudent pour éviter les traumatismes psychologiques profonds qui peuvent subvenir à cause d’erreurs involontaires mais profondément ressenties par le bébé. Les pages de publicités insis-tent beaucoup sur ce point afin de sensibiliser les parents à ne plus faire n’importe quoi comme au mil-lénaire précédent. Des dizaines de milliers de psychologues, éducateurs, pédiatres, étiologues, psychiatres ou hédo-logues, indiquent les attitudes à tenir et ajoutent des conseils d’achat. Des salles de dialogue, « de compréhension » comme les intitulent les grands commerces, sont à disposition des clients. Ce sont les affichettes des rayons spécialisés qui les amènent à cette démarche avant tout achat définitif et même s’il ne s’agit que d’un essai. Des émissions de vulgarisation, produites par des fondations à vocation scientifique, diffusent des documentaires à propos des anciens accouchements lorsqu’ils avaient encore lieu avec leur cortège de décès, césarienne, prise de poids, douleurs et autres. Un humoriste, s’il en existait encore, trouverait sans doute qu’il a en quelque sorte fallu bien de la chance à l’humanité pour que les générations s’enchaînent au long des siècles précédents malgré tous ces déboires et les multiples dangers de la reproduction. Une grand-mère, surnommée « Mamy Denise », raconte ses souvenirs aux futures mères poten-tielles, dans des émissions télévisées « J’ai toujours rêvé de pouvoir acheter les enfants. Tu ne peux pas imaginer comme cela me pesait, c’est le cas de le dire, quand je décelais une nouvelle grossesse. Vous les jeunes vous avez de la chance, vous n’êtes plus obligées de les fabriquer vous-même. Quel temps perdu ! Tu n’imagines pas ce que c’était autrefois! ». Tout cela sans compter l’attachement phy-sique et sentimental que créaient les trois trimestres que durait une grossesse, et qui provoquait un grand nombre des troubles enregistrés chez les enfants ainsi mis au monde. Le conglomérat financier joue gros en développant ainsi l’utilisation à grande échelle, pour la masse des consommateurs, les techniques de manipulation génétique que maîtrisent ses laboratoires. Bien que la loi ne permette pas encore cette façon d’agir et que les controverses ne soient pas faciles à gérer face aux télévisions multiples, la décision de commercialiser est maintenue. Les gestionnaires locaux argumentent de la pression du nombre, celui de leurs clients réels ou po-tentiels et ils s’appuient sur les premiers résultats chiffrés de leurs ventes. Ces derniers éléments indi-quent à l’évidence, que les problèmes éthiques ne pèsent pas lourds quand des solutions pratiques se révèlent disponibles. De nombreux articles des diverses presses multi médiatiques rappellent qu’après tout depuis le début du monde les enfants sont mangés, abandonnés ou tués par les parents. Ils sont exploités par eux, violés, battus, vendus, déguisés en soldats, en acteurs, en prodiges ou mariés de force. La liste est longue de ces rappels historiques. Le grand magasin lance donc un marketing local solidement fondé sur une tendance profonde et ancienne de la population. Toute la campagne publicitaire du magasin parle du bonheur des enfants, de leur sécurité dans l'avenir, de leur bien être futur mais tout ce qui est proposé aux parents permet d’accroître la tranquillité de ces derniers et transforme de fait, les enfants en objets pour consommateurs insouciants. Ils peuvent dans le quotidien, les utiliser comme leurs animaux, leurs voitures ou leurs meubles. Le magasin quant à lui, prend en charge, à travers son discours, tout ce qui ne peut être avoué clairement et l’habille de transparence. - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - Et puis en une vingtaine d’années le marché des enfants a évolué, comme tous les marchés d’innovation. Les techniques scientifiques qui le sous tendent ont été poussées pour mieux comprendre la mise en œuvre des gènes implantés sur le ruban d’ADN de l’être humain afin de mieux soigner et surtout prévenir, toutes les maladies qui surviennent au long d’une vie. Indirectement il s’en est suivi une offre plus grande et surtout l’industrialisation d’une production plus diversifiée de la part des trois gros laboratoires encore existants. Aujourd’hui le choix des nouveau-nés peut aussi se faire sur la taille, les capacités physiques, in-tellectuelles et artistiques, bien que la fiabilité soit assez faible pour cette dernière aptitude. Les clients peuvent donc facilement adapter l’enfant à leur morphologie ou à celle des parents à qui ils l’offrent en cadeau. L’affinement des capacités de production permet de réguler au mieux la demande en la stan-dardisant. Dans les quartiers d’ailleurs, de nombreuses femmes, acceptent facilement la proposition du grand magasin qui tient en une prime équivalente à neuf mois d’allocation de vie pour abriter, pendant quelques jours seulement, l’ovule préparé dans les officines des entreprises. Pour ces femmes d’accueil c’est une garantie sanitaire en même temps que les actionnaires des sociétés se prémunissent mieux contre une perte d’argent toujours possible avec des techniques encore aussi jeunes. Depuis trois ans, un service après vente, géré par un groupe médical et pharmaceutique indépen-dant, propose des contrats d’entretien. Exclusivement médicale au départ, l’offre s’est étoffée et com-prend maintenant, la surveillance nutritionnelle dans les cantines, la prise en charge psychologique pour parer à tout « mal être » résiduel qui persisterait et un soutien aux parents qui peuvent être perturbés par l’attention que nécessite encore un enfant, même défilialisé par l’acte d’achat. Ce service s’est bien développé et trouve tout naturellement sa place dans cette sorte de village qu’est l’hyper « balladium ». D’ailleurs presque plus rien ne se situe dans l’ancienne ville qui n’est plus utilisée que pour y dormir, s’y promener et s’y retrouver entre amis. Comme une sorte de camping per-manent installé aux abords de la vraie ville. Ce service après vente propose depuis peu de reprendre les enfants déficients ou qui présentent un comportement décevant. Il arrive que les modifications soient faciles à réaliser. D’autres fois, des enfants sont inadaptés à certaines familles, ils sont alors échangés avec ceux d’autres familles. Mais le plus souvent, sous prétexte d’accident de réparation, les enfants sont tout simplement détruits et leurs organes servent alors à d’autres bambins que l’on souhaite conserver parce que mieux adaptés à la vie collective des cellules familiales toujours maintenues, malgré de multiples offres d’organisation plus in-dividualisées. Cette procédure est devenue une sorte d’accord commercial tacite dont personne ne se plaint et qui évite les démarches administratives nécessaires pour l’euthanasie, conduites totalement dépassées qui datent vraiment d’un autre siècle. C’est prés de là, dans une annexe nouvellement ouverte, qu’un marché des occasions a trouvé son rythme de croisière. Ce marché est autorisé jusqu’à l’âge de quatre ans. C’est aussi, bien sûr, un lieu de promenade afin que les enfants puissent être vus des éventuels acquéreurs. Ici viennent surtout des femmes et des hommes en couple. Ce sont eux qui sont principalement demandeurs. Ils habitent les quartiers verts ou jaunes et presque tous ont été frappés de stérilité fortement conseillée. Parfois des hommes qui ont une entreprise à céder viennent avec une nourrice, chercher un héritier possible. Mais du côté des offres ce sont souvent des femmes seules, venant des mêmes quartiers, qui trouvent trop pénible d’élever des enfants où qui n’ont plus droit aux aides d’état. Quelquefois la raison donnée est qu’elles n’arrivent pas à se faire obéir et elles finissent par démissionner. C’est dans ces marchés d’occasion que les enfants renvoyés des quartiers bleus, trouvent une nouvelle chance, avant leur disparition définitive s’ils ne trouvent pas preneur. Un peu plus loin c’est un autre bâtiment, nouveau celui la, qui s’élève juste à la limite nord des parkings des quartiers bleus, l’édifice de la couverie. Il sera mis en visites pour les clients avant la fin du premier trimestre prochain. C’est là que sont « façonnés » les embryons. On pourra y regarder, derrière de grandes baies vitrées, comment s’opère le prélèvement des ovules sur les femmes d’ailleurs qui ont accepté d’être porteuses. Pourra bientôt s’observer aussi le transfert vers les éprouvettes d’attente, remplies du liquide vital, techniques protégées de l’espionnage par de multiples brevets industriels. La manipulation qui concerne l’apport de nouveaux gènes et le contrôle des séquences des bases sera probablement ouverte au public dans un peu plus de deux ans. Les règles de sécurité n’étant pas en-core toutes établies ou certifiées. Ce nouveau bâtiment est une sorte de pendant à celui déjà construit depuis plus de vingt ans et situé derrière la zone des résidences B8, où les chercheurs en biologie disposent presque tous de leurs résidences, ce qui confirme que les groupes sociaux se sont tous fortement regroupés et même cloi-sonnés, en moins d’un demi siècle. Là se cultivent les tissus indifférenciés issus des cellules obtenues après les quelques premières divisions de l’embryon. On peut alors s’en servir pour fabriquer les cellu-les nécessaires aux diverses parties du corps humain après les avoir spécialisées en fonction du besoin d’organe du receveur et de ses caractéristiques de compatibilité histologique. - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - Au cœur des quartiers bleus, les habitants vivent couramment au delà de cent cinquante ans dans des conditions de santé physique et mentale qui leur permettent une autonomie pratiquement complète. L’être humain n’y meurt plus de maladies. On y décède seulement d’accidents ou de vieillesse car les scientifiques butent encore sur l’obstacle trop complexe de l’usure de la vie et les espoirs d’éternité du siècle passé apparaissent toujours aussi lointains. C’est cet allongement très fort de la durée de la vie qui a freiné le besoin d’enfants jusqu’à le ren-dre presque dangereux pour le peuplement du monde, d’autant plus que la prédiction des fusées em-portant le surplus d’humains vers les autres planètes n’a toujours pas vu son commencement. C’est aussi pourquoi les westerns qui retracent en films vidéo les épisodes du dernier exemple de grande migration humaine qui a eu lieu sur terre restent sans successeurs réels. C’est aussi le souvenir du réchauffement rapide de la planète, quelques degrés supplémentaires qui ont amené plus d’un milliard de personnes à quitter les bords de mer pour venir sur peupler les vil-les. « La grande peur du vingt et unième siècle » titrait un journal de l’époque. Des régions entières sont maintenant inondées et aucune digue n’a pu enrayer la montée des vagues. D’autres zones se sont désertifiées plus encore. Partout les orages et les vents ses sont amplifiés, multipliant les dégâts et les dérèglements de la société. Les grands-parents de Sandra racontent que des guerres ont eu lieu, « de vrais massacres » dit-elle. Les nations ont laissé faire parce qu’il fallait éliminer ceux que la mer repoussait. Depuis des mesu-res drastiques de dépollution ont été engagées mais en même temps s’installait la phobie du sur peu-plement. Les craintes de surpopulation sont si fortes qu’il n’y a plus de véritables naissances dans le quar-tier bleu. Les descendances si l’on peut dire, sont « enfantées » dans les zones d’ailleurs depuis main-tenant presque soixante ans. Ce fut même à partir de ce moment là un des critères non explicite, d’accès au groupe humain de ceux qui gèrent les productions matérielles et l’organisation politique de la vie collective. C’est aussi ce groupe qui a orienté la recherche et la sélection génétique pour tenter de mettre en place une autre solution que la guerre, qui permette de résoudre le problème démographique mondial. Les carences persistantes de la science font qu’il a fallu conserver un groupe, celui que l’on nomme « d’ailleurs » et qui réside dans les quartiers verts, afin de disposer des ovules nécessaires aux enfantements de ceux du quartier bleu. Les scientifiques ne savent toujours pas se passer de l’œuf pri-mordial et l’utilisation de ceux des animaux comme les rats, les singes, les porcs ou les brebis reste très aléatoire, avec un trop important taux d’échec. Ceux du quartier bleu continuent donc de se servir du potentiel génétique des femmes d’ailleurs, à charge pour leurs laboratoires de faire les analyses nécessaires afin d’écarter tout matériel défectueux. Lorsque c’est le cas, la porteuse est systématiquement stérilisée dés lors qu’elle l’accepte, ce qui est devenu la règle tant la pression économique et sociale est forte. Que de progrès en à peine un demi-siècle, que d’économie de temps et d’argent depuis que le décodage du génome s’est accompli à la fin du millénaire précédent ! Depuis longtemps déjà les médi-caments ne servent plus à palier les déficiences individuelles. Ces problèmes sont maintenant résolus en aval, avant l’implantation chez la porteuse. Seuls les problèmes des comportements sociaux non conformes sont encore difficilement décelables avant la naissance. Ce sont là des composantes sensi-bles à l’environnement, ce qui les rend impossibles à déterminer pour une durée de vie aussi longue que celle atteinte par ceux des quartiers bleus. Cependant une manipulation génétique en cours de vie résout bien souvent l’essentiel des difficultés, ce qui évite la médicalisation de l’organisme avec les tran-quillisants, somnifères ou neuroleptiques comme cela se pratiquait massivement paraît-il au temps de nos arrière-grands-parents. Sandra et Julien, ont presque soixante ans, l’age auquel ils peuvent donc maintenant prétendre prendre en charge deux enfants. Ils viennent choisir leurs ovules après qu’ils aient fait une première approche sur le catalogue électronique du magasin. Cette démarche réalisée ils peuvent alors pénétrer dans une des deux chambres du laboratoire pour y prélever le sperme de Julien. Le couple conserve une fonction très forte, bien que seulement sociale, une sorte de garantie du maintien des règles com-munes et cet instant du prélèvement de la semence génitale masculine, est le seul moment obligatoire d’intimité physique pour les futurs parents, puisque dans le quartier bleu, les activités sensuelles peu-vent se dérouler librement, sous quelque forme que ce soit, tout au long de l’existence. Obligation strictement maintenue parce que les techniques scientifiques ne permettent pas d’analyser chacun des spermatozoïdes du flot séminal nécessaire à la fécondation de l’ovule. C’est donc au couple de garantir, au travers de cette rencontre officialisée, l’origine généalogique du quartier bleu, en fournissant les témoins visuels nécessaires. Une sorte de label d’origine si l’on peut dire. C’est avec une technique similaire de contrôle que peu à peu les quartiers jaunes, celui des peaux colorées, se sont vidés de leurs habitants. Depuis plusieurs générations, une partie d’entre eux choisit de ne pas transmettre aux enfants qu’ils auraient pu avoir les difficultés sociales qu’ils ont eux-mêmes rencontrées et qui sont liées à leur quartier. C’est donc là un des premiers programmes d’éradication qui tire à sa fin, les plans de démolition des immeubles sont d’ailleurs en cours de réalisation ce qui donnera un peu plus d’espace au quartier bleu qui a déjà absorbé totalement un des trois secteurs jau-nes qui existaient au début des séparations colorimétriques. - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - Dans les quartiers rouges et verts, les enfantements sont demeurés libres, mais ceux ci sont tou-tefois soumis au contrôle de la durée de vie. Depuis longtemps déjà, chaque future mère doit déclarer sa grossesse dans les dix jours suivant un rapport sexuel déterminant. Une intervention génétique per-met alors que la durée d’existence du futur habitant du quartier soit limitée à soixante ans, c’est à dire la période après laquelle les productions d’ovules deviennent inefficaces. Bien que justifiée pour les seules femmes, cette mesure est appliquée aux embryons des deux sexes. L’acceptation de cette règle au moment de la conception permet d’obtenir le versement des allocations de vie, seules ressources en-core disponibles, étant donné que celles du travail sont pratiquement nulles depuis longtemps. Cette règle ne fut acceptée qu’après des années de discussions sur le forum des décisions, ré-servé aux résidents du quartier bleu. Difficile à mettre en place, elle a permis d’atteindre deux buts im-portants pour le groupe. Elle diminue le nombre des naissances dans les quartiers rouges et verts, ce qui est nécessaire à long terme, puisque ses habitants n’ont plus de rôles réels dans le fonctionnement de la société et en même temps elle freine le nombre des transferts venant du quartier bleu, des quel-ques femmes qui militent encore pour le droit à un enfantement complet et aléatoire. Problème com-plexe entre tous, pour toutes les sociétés et cela depuis la constitution de la première de toutes. Autrefois, pendant des millénaires, la mort fréquente des mères lors des accouchements et la force physique nécessaire pour chasser, ne laissaient aux femmes que peu de place dans les groupes qui se constituaient. Pour survivre, elles devaient enfanter et accepter ce rôle de perpétuation du groupe ou périr par incapacité physique à survivre seule. Les lignes de partage étaient claires autant que les vies étaient courtes. Mais au cours des derniers siècles les femmes ont pu réguler leurs grossesses, puis les maîtriser au point que les techniques de procréation in vitro ont amené comme perspective l’enfantement et la perpétuation des générations sans l’apport des hommes, voire, comme thème de science fiction, leur suppression physique. Dans les quartiers bleus, inconsciemment sans doute pour certains, très lucidement pour d’autres, de subtiles lois ont été discutées puis instaurées. Appuyés sur la peur, les connaissances scientifiques, les possibilités techniques et les promesses d’une liberté accrue, les schémas de la rhétorique ont peu à peu fait apparaître aux épouses que leur fonction d’enfantement relevait d’une contrainte tout à fait dé-passée. Celle-ci a pu être confiée aux femmes des autres quartiers. Dans le même temps, l’homme, par le prélèvement en partie ritualisé de son sperme, a retrouvé toute sa fonction essentielle sans laquelle plus rien n’est possible. Aussitôt la réactivité du marché économique s’est engouffrée dans la brèche ainsi dégagée et la force de l’habitude a fait le reste. Les grands magasins ont créé leurs départements spécialisés souvent inaugurés avec discours et toasts tout à fait officiels. - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - Le dernier secteur du quartier jaune vient d’être démoli, le terrain est désormais vide. Demain ou après demain il sera couvert de parcs naturels et de résidences aux routes bleues. Un deuxième sec-teur des quartiers rouges sera bientôt vidé de ses derniers habitants. Lui aussi sera rendu à la nature, aux arbres, aux herbes, aux fleurs et à quelques animaux retenus comme compatibles avec la présence de l’homme par la commission de la vie ancestrale. L’hyper « balladium » a diminué son espace réservé à la vente de nouveau-nés puisque les quar-tiers non bleus disparaissent peu à peu, et que se réduisent ainsi les besoins d’enfants. Seul un marché assez actif d’échanges de jeunes entre quatre et dix ans pour les vacances, les loisirs, les études ou les championnats sportifs garde la trace d’une époque florissante. Dans le monde, seule l’Europe, une partie de l’Asie et l’Amérique sont encore peuplées, essentiel-lement de quartiers bleus, tous bâtis sur le même modèle. La population du globe réduite à moins de trois milliards de personnes s’est concentrée en quelques points et prépare les fêtes organisées pour ce milieu du vingt deuxième siècle. - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - Ce midi, dans le quartier bleu de Dijon, l’effervescence est grande autour de l’espace des Pourta-let. Les arcades de la cour intérieure, celles qui supportent à chaque étage, les passages de type italien qui vont du bâtiment donnant sur la rue à celui s’ouvrant sur la cour, sont remplies de monde. Des voi-sins, des amis, des promeneurs. Le corps gît là, juste au milieu de la cour pavée de gros blocs de calcaire durci et usé. Ecrasé sur la discrète entrée du puisard où l’eau des pluies et des orages s’enfonce vers la rivière lointaine. - Il était encore tout jeune. - Quel âge ? - A peine plus de trente ans. - Bizarre. Dans la main droite un bout de papier dépasse de ses doigts encore serrés. Quand ceux du net-toyage arriveront, ils auront peut-être le temps de lire. « Je m’ennuie de ne rien avoir à faire. Depuis ma naissance je n’ai jamais eu à choisir. La peur, la faim, l’amour, la joie, la tristesse, l’espoir ou le désespoir me demeurent inconnus. Je n’ai fait qu’exister. J’ai donc décidé de la seule chose encore possible pour un être humain, avancer la date de ma mort » L’ennui ! Un vaste marché à saisir pour l’hyper « balladium ». De quoi être occupé pendant des siècles et des siècles ! - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - Heureusement nous sommes en l’an 2005 et tout cela n’est que de la science fiction. Aucun symptôme de ce monde inhumain n’est encore perceptible à ce jour. Décembre 1998 Copyright de l'auteur |
![]() |
![]() |
http://economiemultiple.free.fr |
![]() |
![]() |