Poème 39
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En gare de Besançon

L


es néons alignés tenaient lieu de soleil
Dans cette salle grande au moderne décor.
Mais les mots de la nuit sont aussi ceux du jour.
L’homme est peu inventif ! Pour lui toutes amours,
L’ennui, le temps, la peur, les nuits et les aurores
S’écoulent immuables à chaque instant pareils.

Au bar des hommes vieux ont la langue un peu rude
Avec la nonchalance que donne l’habitude,
Ils mêlent leurs jurons à l’énoncé sans vie
Des boissons et menus, entretenant un bruit
Où des femmes falotes répondent d’un sourire
Aux compliments des hommes qui se soûlent de gros rires.

Ils satisfont en verbes ce qu’ils ne peuvent faire
Et s’imaginent encore les forces qu’ils n’ont plus.
Les rêves de la nuit sont aussi ceux du jour.
L’homme ne pense guère ! Et pour lui un retour
N’est rien que l’arrivée dans un pays connu
Sans bagages nouveaux, sinon quelques poussières;

Pourtant très lentement la salle s’est remplie.
Buveurs sans foi, accrochés au comptoir, vaincus,
Ouvriers fatigués repoussant un instant
Le retour triomphal où piaillent les enfants.
Hommes enchapeautés, affalés et ventrus,
Voyageurs en transit attendant un pays.

Pas une fille ici, sinon ces femmes peintes
Décorées et parées pour des amours défuntes
Et cerclées de garçons venus perdre leur temps
Ou vérifier leur force au prix de leur argent.

Mais j’oublie cette fille qui vient juste d’entrer
Et pose ses cahiers sans même saluer.

Jeune et mystérieuse, source de paix, douceur
Par le silence, douceur par la jeunesse, douceur,
Tendresse,havre pour le repos des âmes. Ilot
De pureté, flamme qui luit et qui tient chaud.

Foyer d’un rêve ancien, perdu et tant cherché
Cette fille soudain vient le leur redonner.
Le silence s’installe par absence de mots
Et les regards convergent.
Les poèmes se créent dans un regard d’enfant
Pour un silence vrai, une fille qui consent,
Dans un soleil qui meurt, dans les repas de chair
Les poèmes s’écrivent d’étoiles et de poussières.


24 Octobre 1967




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